La musique, entre bien-être et torture !

 

 

Le bien-être

 

Article Science&Vie publié le 16 août 2021. Signé Clément Dufrenne.

La « recette » d’une musique à succès dévoilée par des chercheurs

Chaque été est habituellement marqué par une célèbre musique pop, nommée la musique de l’été. Existe-t-il une méthode à suivre pour être la chanson numéro 1 ? Oui, d’après des chercheurs de l’université de Georgetown et de la start-up « Secret Chord Laboratories ». Dans leur étude publiée dans la revue Frontiers in Human Neuroscience, les chercheurs expliquent qu’une chanson doit présenter une surprise harmonique.

Que se passe-t-il dans notre cerveau lorsque nous aimons une musique ? Qu’est-ce qui nous motive à la réécouter ? Pour répondre à ces questions, les chercheurs de cette étude ont analysé plus de 100 musiques qui ont figuré en haut des classements musicaux de 1958 à 2019. L’analyse s’est faite avec l’aide d’un logiciel mis au point par les chercheurs, qui ont recherché des modèles dans les chansons pouvant expliquer leur caractère accrocheur. Cette technologie est née d’une précédente étude, réalisée en 2017 par les mêmes scientifiques, David S. Rosen et Scott A. Miles, sur la perception de la musique.

Les deux chercheurs ont d’abord émis l’hypothèse que la surprise harmonique, définie comme un changement « non-conventionnel » d’accords, était constante dans le temps, tout comme les effets auprès du public. Ils ont évalué cette hypothèse avec des musiques de 1958, comme Only You de The Platters, à 1991 où Nirvana était en tendance avec le titre Smells Like Teen Spirit. Les analyses ont mis en lumière une augmentation significative de la surprise harmonique au fil du temps, mais également une présence de celle-ci plus prononcée dans les chansons figurant aux premières places des classements musicaux. Des analyses menées en parallèle sur des chansons des années 2000 à 2019 ont montré une évolution similaire.

Un changement d’accords aussi rapide est une surprise, et s’il est effectué de manière intelligente, expliquent les chercheurs dans l’étude, de la dopamine est libérée, donnant ainsi à l’auditeur une sensation de plaisir. Et cette sensation est ce qui alimente le succès d’une chanson pop, ajoutent-ils. Ainsi, pour répondre aux besoins de surprise du cerveau, les musiciens doivent modifier leurs habitudes et innover. Les attentes harmoniques classiques, fondées sur les « anciennes » musiques serviront de base pour les musiques de demain, qui les bouleverseront, avant d’être elles-mêmes bousculées. Un phénomène nommé par les chercheurs de l’étude, « l’hypothèse de la surprise inflationniste ».

Cette stratégie a fait ses preuves, néanmoins, les auteurs de l’étude soulignent tout de même qu’elle ne suffit pas à garantir un succès auprès des auditeurs, car d’autres critères sont évidemment à prendre en compte. Si vous souhaitez que la France gagne le prochain concours de l’Eurovision, vous pouvez commencer à partager cet article !

 

 

La torture

 

La musique dans les camps de concentration

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Depuis les trois dernières décennies, le public a découvert la présence et la pratique de musique dans les camps nazis. Ceci est dû tout d’abord à la programmation de chants nés dans des ghettos et des camps de concentration, mais aussi aux concerts dédiés aux pièces composées à Theresienstadt, telles que l’opéra de Viktor Ullmann L’Empereur d’Atlantis ou l’abdication de la Mort (Der Kaiser von Atlantis oder Die Tod-Verweigerung), créé pour la première fois à Amsterdam en 1975. Cela est également dû à des films comme Le Pianiste de Roman Polanski (2002) mais aussi à des témoignages de musiciens ayant survécu. Mais ce qui est peu connu, c’est que la musique de tous styles était un élément fondamental de la vie quotidienne des camps de concentration et des centres de mise à mort. Ce qui pose la question des possibilités de création dans de telles circonstances, et des fonctions et significations que la musique pouvait revêtir dans les camps.

La musique sur commande

Dès l’ouverture des premiers camps de concentration en 1933, les gardiens prirent l’habitude d’ordonner aux détenus de chanter en marchant, en faisant des exercices, ou pendant des séances de punition. Ceci avait pour objectif de se moquer et d’humilier les prisonniers, tout en leur inculquant la discipline. Ainsi qu’Eberhard Schmidt en fit l’expérience à Sachsenhausen, les détenus qui avaient désobéi ou manqué aux ordres (« En rang ! Marche ! Chantez ! ») fournissaient un prétexte aux SS qui les frappaient arbitrairement :

Ceux qui ne connaissaient pas les chants étaient battus. Ceux qui ne chantaient pas assez fort étaient battus. Ceux qui chantaient trop fort étaient battus. Les SS battaient sauvagement.

La plupart du temps, les détenus devaient chanter des chants de soldats ou des chants nazis, mais aussi des chansons populaires et des marches. Mais ils devaient également entonner des chants avec une valeur symbolique pour certains groupes de détenus, ceci pour les humilier. Aux communistes et aux sociaux-démocrates par exemple étaient imposés des chants des mouvements ouvriers, tandis qu’aux religieux revenaient les psaumes affiliés à leur obédience.

De la musique provenant d’émissions de radio ou de disques était diffusée par des haut-parleurs installés dans la plupart des camps. En plus des discours de propagande, des marches militaires et de la « musique allemande », de la musique de Richard Wagner fut diffusée par les gardiens à Dachau è en 1933-34 pour « rééduquer » les opposants politiques. À Buchenwald, établi en 1937, les haut-parleurs retransmirent des concerts du soir depuis la radio Allemagne, engendrant des privations de sommeil chez les détenus. En plus de tout cela, il arriva que de la musique soit diffusée pour masquer des bruits d’exécution.

Sur ordre des commandants, des ensembles musicaux furent constitués avec des détenus professionnels ou amateurs. Les chœurs dominaient durant les premières années, tandis qu’après l’entrée en guerre, les orchestres aient été majoritaires. Les premiers petits ensembles « officiels » existaient dès 1933, par exemple dans les camps de Dürrgoy, Oranienburg, Sonnenburg et probablement Hohnstein. Après la réorganisation du système des camps – lorsque les premiers camps furent fermés, à l’exception de Dachau, pour être remplacés après 1936 par des nouveaux, plus grands – des orchestres de détenus furent créés à Sachsenhausen (continuité de l’orchestre d’Esterwegen), Buchenwald et Dachau. Avec l’expansion du système concentrationnaire et la création de sous-camps et de camps satellites, des orchestres officiels furent recensés dans presque tous les camps principaux, dans les sous-camps les plus grands et dans certains centres de mise à mort. Il y eut parfois plusieurs orchestres dans un même camp, par exemple dans le camp principal  d’Auschwitz, notamment un ensemble de cuivres comprenant 80 musiciens et un orchestre symphonique avec 120 musiciens. Leur répertoire comprenait des marches, des hymnes de camps, de la musique de salon, de danse ou de la musique légère, des chants populaires, des musiques de films ou d’opérettes, des airs d’opéras ou encore de la musique savante comme la cinquième symphonie de Ludwig van Beethoven. En de multiples occasions, des nouvelles compositions ou des arrangements originaux virent le jour. Citons ici par exemple la « Marche du camp de travail » (Arbeitslagermarsch) composée à Auschwitz I par Henryk Krol et Mieczyslaw Krzynski.

 

Le répertoire des orchestres officiels des camps dépendait des goûts personnels des SS, de leur culture musicale et des occasions pour lesquelles les ensembles jouaient, mais aussi des partitions apportées dans le camp, du niveau de l’orchestre et du temps qui lui était alloué pour les répétitions. Pour les concerts du dimanche, les ensembles de prisonniers ne jouaient pas seulement pour les officiers SS mélomanes mais aussi, sur permission des autorités SS, pour leurs co-détenus. À l’occasion des inspections de camps, les commandants exhibaient fièrement leur orchestre de prisonniers, véritable « attraction » visant à démontrer le fonctionnement impeccable du camp. La tâche principale des musiciens était cependant d’assurer un fond musical lors de la sortie le matin et de la rentrée le soir des commandos de travail à la porte du camp, mais aussi d’accompagner des exécutions publiques mises en scène pour terroriser la population des détenus. Dans les centres de mise à mort, notamment à Birkenau, l’orchestre jouait pour des occasions particulièrement macabre, ce qui conduira certains musiciens survivants à un sentiment de culpabilité après la guerre et à des troubles dépressifs pour le reste de leur vie. Certains ensembles durent jouer pendant des processus de « sélection » pour rassurer les nouveaux arrivants quant à ce qui les attendait. Il est clair aujourd’hui que l’arrivée des nouveaux détenus et les sélections ne firent généralement pas l’objet d’accompagnement en musique, sauf en de très rares occasions. Les marches vers les chambres à gaz de Birkenau  ne se firent pas en musique. Cependant, l’orchestre des femmes tenant ses répétitions dans un baraquement en bois mal insonorisé à proximité, il arriva que de la musique se fasse entendre.

Enfin, les musiciens des ensembles furent souvent réquisitionnés pour distraire les gardiens lors de soirées privées. D’un côté, le statut de musicien offrait une protection relative contre certaines formes de violence arbitraire et pouvait garantir certains privilèges vitaux, comme un assignement à un commando de travail moins pénible, de meilleurs vêtements ou des rations alimentaires supplémentaires. Dans ce sens, la pratique de musique participait d’une stratégie de survie. D’un autre côté, cette proximité contrainte avec les bourreaux entraînait un sentiment de culpabilité et surtout une dangereuse dépendance au bon vouloir des SS, tout en suscitant l’envie d’autres détenus.

 

Témoignage de la musique à Auschwitz

 

 

 

Torture à Guantanamo

 

 

Sesame Street Music Torture