JEFF BECK, UN GUITARHERO ?

« Durant les 20 mois qu’a duré sa présence au sein des Yardbirds, la candidature de Jeff Beck au poste de guitarhero a été scrutée, estampillée, approuvée puis diffusée dans le monde entier » écrit Martin Power (Hot WiredGuitar: The Life of Jeff Beck, p. 115, notre traduction). Jeff Beck apparaît bien par exemple dans la liste « The 100 GreatestGuitarists of All Time » (en anglais), édifiée par le site guitarworld.com. Mais qu’est-ce qu’un guitarhero ?

C’est d’abord un guitariste qui évolue dans le monde du rock et, très souvent, le hard rock ou le metal. En principe, un guitariste de jazz, aussi bon techniquement qu’il soit, est rarement considéré comme un guitarhero (John Mc Laughlin en est pourtant incontestablement un dans l’esprit de Jeff Beck). Le phénomène est donc typique du rock. Être considéré comme un guitarhero n’est pas donné à tout musicien, fut-il techniquement irréprochable. Encore faut-il qu’il ait un impact réel sur le monde de la guitare et que sa technique, allant de pair avec une évidente virtuosité, soit irréprochable et que ses prestations scéniques correspondent à ce statut de « héroïque ».

Les « classements » dont les revues spécialisées se font régulièrement l’écho sont parfois plus larges : si David Gilmour est rarement considéré comme un guitarhero, il est généralement présent dans ces classements qui n’ont en réalité qu’une valeur tout à fait relative mais qui, très souvent, placent Jimi Hendrix sur la première marche du podium. Pour Beck, « Hendrix a tout fait. Il a refermé le livre. Après sa mort, il n’y avait plus à faire ». Interrogé par Alain de Repentigny pour La Presse (journal canadien), « Beck estime qu’un guitarhero peut jouer n’importe quel style de musique. Il sait que la technique ne fait pas foi de tout et qu’il y a souvent une part d’esbroufe dans le jeu des soi-disant guitarheroes. “L’important, c’est que le guitariste y croit vraiment, dit Beck. Tant que c’est fait avec honnêteté et que ce ne sont pas que des imitations kétaines [kitsch]” ». In Alain de Repentigny, « Les guitarheroes », La Presse, 27 juin 2009.

Et c’est à une guitariste, Carmen Vandenberg, que nous allons laisser le dernier mot : « On peut reconnaître Gilmour et Hendrix, comme on peut reconnaître Jeff en une phrase, une note. Il n’y aurait pas d’icônes de la guitare s’ils n’avaient pas leur marque. » In Matthew Longfellow, Still on the Run: The Jeff Beck Story, DVD, Eagle Vision, Universal, 2018.Tout est dit : un guitarhero, au-delà de la « posture » c’est d’abord un « geste », un « son ».

Les guitarheroes, un monde d’hommes ?
Le « cas » Jennifer Batten

On ne peut pas aborder la question du guitar hero sans évoquer la question du genre. Rares sont les femmes guitaristes atteignant le statut de guitarhero. Une d’entre elles est pourtant considérée comme une pionnière : Jennifer Batten.
Steve Waksman, dans Instruments of Desire (p. 5-6), explique, par exemple, que « pour Hendrix, la guitare électrique était essentielle à la création d’un personnage sexuel démonstratif ». Et démonstratif, il le fut, affichant sans ambiguïté l’aspect « phallique » dévolu à son instrument, tout comme furent sans ambiguïté aucune les allusions sexuelles à travers un « geste » scénique.
Mais au fond, que signifie « être une femme guitarhero » ? Nous avons posé la question à Jennifer Batten, guitariste de Michael Jackson lors de ses ultimes tournées. Voir, par exemple, le live de « Dirty Diana» à Rome en 1988) :

 

Non contente de participer étroitement à WhoElse!, elle devient également la guitariste du groupe de Jeff Beck au tournant du millénaire. Elle semble ne pas attacher une grande importance à ce titre-là. Voir notre entretien avec Jennifer Batten : voir video sur canopé


Entretien avec Jennifer Batten, compositrice et guitariste
reseau-canope.fr/jeff-beck-you-had-it-coming/entretiens.html

Il n’empêche que rares sont encore les femmes qui atteignent une telle notoriété et que, parmi elles, Jennifer Batten apparaît bien comme une pionnière. Un fait que souligne Steve Waksman, citant justement le « cas » Jennifer Batten, un exemple révélant à quel point l’idée de la guitare électrique, comme instrument masculin, est profondément enracinée.
« C’est un choc pour certaines personnes de voir une femme jouer de la guitare, explique-t-elle dans Guitar Player (7 juillet 1989, p. 96). Partout dans le monde, lors de la tournée de Michael Jackson, les gens me demandaient si j’étais un homme ou une femme. Juste parce que je jouais de la guitare, ils supposaient que j’étais un homme. » Le public, ajoute-t-elle, préférait voir en elle un homme ayant un look de femme plutôt que de reconnaître en elle une « véritable » femme. Waksman explique que la guitariste « fait référence à la prévalence d’une sorte d’ambiguïté de genre parmi les groupes de hard rock masculin dans les années 1980, qui a été conçue pour ne pas remettre en question la masculinité mais plutôt pour ajouter un air d’excitation aux débats, en jouant sur la question sexuellement chargée du “est-il ou n’est-il pas” » (Steve Waksman, Instrument of Desire: The Electric Guitar and the Shaping of Musical Experience, op. cit., p. 6.). Jennifer Batten revient sur cette question dans l’entretien en ligne. Pour Beck, Batten est une guitariste d’exception : « Elle exprime tout ce qui est un peu retenu par les mecs. Elle a son propre style et une grande énergie… Même quand elle joue des solos, elle a une touche très personnelle ; elle est très mélodique mais elle sait aussi produire des sons horribles. » (In Demian, « Beck Around the Clock », Guitar Collector: Jeff Beck, n° 20, sept-nov. 1999, p. 14-19.)
Si nous abordons cette question du « genre », c’est aussi parce que, d’un avis unanime, Jeff Beck ne s’est guère préoccupé de cette question et a collaboré avec de nombreuses femmes durant sa carrière : un point de vue clairement exprimé dans le DVD Still on the Run:The Jeff Beck Story.
Jeff Beck s’est, dans les deux dernières décennies, souvent entouré de femmes d’exception. Il y a les chanteuses : « Jeff a toujours su choisir les chanteuses, par exemple Imelda May, Joss Stone et Beth Hart. C’est l’exemple parfait de trois jeunes femmes extraordinaires qui vont avec son style » (In Martin Longfellow, Still on the Run:The Jeff Beck Story). Et il y a les musiciennes : les guitaristes avec Jennifer Batten et Carmen Vandenberg.

Puis les bassistes qui l’ont accompagné ces dernières années : Rhonda Smith et Tal Wilkenfeld.

 


« Le critère n’a pas été simplement d’être une femme mais d’être une femme et d’avoir du talent. » (Ibid.).
Un talent que Jeff Beck s’emploie depuis plus de cinquante ans à entretenir.