Théorie et esthétique musicale

https://journals.openedition.org/hrc/1831#ftn1

Laurent Feneyrou, pages 8-18

 

Sommes-nous certains de pouvoir définir la théorie musicale ? Quels sont sa terminologie et ses objets à travers les siècles ? En ce XXIe siècle largement engagé, quels projets pourraient être ceux de la discipline ? Et ceux de l’esthétique musicale, née bien plus tard et qui n’a cessé, depuis, de s’enrichir des concepts et des notions des sciences de l’homme et de la société ?

L’article tente une synthèse historique des notions de théorie et d’esthétique musicales. Il revient sur l’hésitation terminologique de la première entre scientia et theoria, sur sa normativité, sur sa relation à l’œuvre et sur l’évolution de ses objets, qui suscitent une mobilité constitutive de la discipline. Quant à la seconde, sont abordés son émergence à l’âge baroque, sa transformation sous l’effet des sciences de l’homme et de la société, ainsi que certains de ses thèmes majeurs depuis 1945 : temps musical, étude du signe et de la signification, ontologie analytique de la musique.

Les discours sur la musique ont connu, depuis Pythagore et à travers leur longue histoire, quantité de mutations. Aussi convient-il d’étudier les conditions d’apparition des disciplines qui les traversent : le primat de la théorie au Moyen Âge et à la Renaissance ; celui de l’esthétique, née à l’âge baroque ; celui de l’histoire de la musique, ce revers de la modernité beethovénienne, à l’avènement du romantisme, dans le sillage d’une philosophie hégélienne où l’œuvre est conçue comme porte tournante entre le monde sensible et l’univers du concept philosophique et celui de l’analyse musicale. Celle-ci, renonçant à la description littéraire caractéristique des écrits de Franz Liszt, Richard Wagner ou Søren Kierkegaard, alors que se déploient les sciences positives, exige un discours sur l’œuvre dans l’immanence de ses procédures, de sa morphologie, de sa syntaxe et de son style. Elle requiertaussi l’usage d’un vocabulaire, d’une technicité, sinon d’une scientificité du discours qui la constitue et qu’elle produit – d’où l’usage des réductions, schémas graphiques et annotations sur partition, d’où aussi la discutable affirmation de l’objectivité et de la neutralité idéologique de ladite analyse. Tout ceci suppose, comme Michel Foucault l’enseignait dans L’Archéologie du savoir et L’Ordre du discours, des surfaces d’émergence, des instances de délimitation et des grilles de spécification. Car des conditions existent, qu’elles soient scientifiques, philosophiques, techniques, sociales, politiques et institutionnelles, qui permettent l’apparition d’un objet, la musique en l’espèce – ou plus exactement l’art musical –, et pour que cet art soit l’objet d’un discours : la théorie, l’esthétique, l’histoire et l’analyse de la musique, mais d’autres types ne manquent pas, à commencer par celui portant sur l’interprétation. Dès lors, plusieurs discours sur un même objet sont admissibles, et il y a discipline, la musicologie, laquelle rend possible de formuler d’autres conclusions et d’introduire de nouvelles connaissances. Cet article porte sur les deux premières disciplines évoquées, la théorie et l’esthétique, celles qui, chronologiquement, sont à l’origine des discours sur la musique – et deux pans majeurs de la musicologie qui ont fait, depuis 1945, l’objet de recherches intenses et fructueuses.

 

Brève histoire de la théorie musicale


Le but de la théorie de la musique est d’expliquer les fondements de l’art musical, d’en prescrire les règles, d’édicter des lois relatives à sa construction et de rendre souveraine sa faculté à engendrer une cohérence qui n’appartient qu’à elle. Cette théorie, qui résulte de la création de concepts musicaux et de techniques d’écriture d’une portée qui aspire à être générale, peut être explicite, et donner lieu à la rédaction d’ouvrages ou d’articles. Elle peut aussi être implicite et rester à l’état d’indications documentées par une tradition orale, voire pédagogique – avant que ces indications ne soient éventuellement rédigées ou, dorénavant, saisies sur d’autres supports (enregistrements sonores, films, blogs…).

Les textes et traités qui se revendiquent d’une telle discipline ne se confondent ni avec les solfèges – non exempts de présupposés théoriques  ni avec les traités d’organologie, bien qu’ils leur soient parfois apparentés : leur objet n’est pas immédiatement pratique. Ils ne sont d’ailleurs pas tous le fait de musiciens de métier : des philosophes et des savants, des physico-mathématiciens selon l’expression d’Isaac Beeckman, ont en effet avancé des éléments conceptuels ou scientifiques.

Ainsi, à l’âge classique, René Descartes (1596-1650) rédige son Compendium Musicae à partir de la critique des Institutions harmoniques de Gioseffo Zarlino et s’attache à en simplifier et à en rationaliser le labyrinthe harmonique.
Le livre premier du Traité de l’harmonie réduite à ses principes naturels de Jean-Philippe Rameau cite d’emblée l’abrégé de Descartes sur la résonance d’un corps sonore, suivant et corrigeant le modèle cartésien, quand d’Alembert propose dans ses Éléments de musique une réécriture de la théorie ramiste. Musiciens, philosophes et savants partagent alors des préoccupations communes. À cette notion de théorie correspond une tradition dont les racines remontent à la Grèce antique : « La musique s’est instituée, en Grèce ancienne, comme théorie, et s’est ainsi définie par opposition à d’autres formes d’activité ou d’autres modes de la culture humaine. La musique s’est principalement définie par opposition à sa propre pratique, à sa propre réalité artistique. Elle s’est construite sur son propre déni. Il ne pouvait d’ailleurs en être autrement, car ce que l’on appelle la composition n’est après tout qu’une démarche discursive fondée sur l’objectivation des schémas de la quantité », écrit Hugues Dufourt.

 

FOCUS SUR RAMEAU VS D'ALEMBERT

https://www.persee.fr/doc/dhs_0070-6760_1984_num_16_1_1490


Il serait vain, et hors de propos, de retracer les larges scansions et les discontinuités d’une histoire de la théorie musicale occidentale : l’Antiquité grecque et sa lente mutation, à l’avènement du monde chrétien, puis les apports de la mathématique arabe ; les fondements de la polyphonie occidentale substituant à l’ancestrale tension (de la voix ou de la corde) la notion de hauteur (altitudo) du son, qui oriente, verticalement, l’espace musical, de sorte que nous traduisons, éloquemment, l’aigu et le grave en haut et bas. Ce sont ensuite la révolution de l’ars nova au xive siècle, en phase avec la doctrine de l’impetus (Nicole Oresme ou Jean Buridan) et les calculs qui conduisirent à la mesure cinématique de la vitesse ; la Renaissance et ses créateurs initiés aux proportions du Timée de Platon et établissant la tonalité harmonique ; l’âge classique avec la notion cartésienne de dimension, source de toute mesure. Viennent ensuite les ruptures de l’ère moderne, jusqu’à notre univers gorgé de technologies, révolutionnaires supports d’une culture de masse, affectant la production, la transformation et les implications formelles du phénomène sonore, ainsi que la sensibilité et les catégories de la pensée compositionnelle. Cette théorie de la musique paraît ne pas se confondre avec l’esthétique musicale et ses formes dérivées. D’une part, elle est historiquement antérieure à la naissance de cette discipline ; d’autre part, sa visée a longtemps été autre : normative, la théorie a couramment situé son efficacité avant l’œuvre, en définissant des principes de composition et non en proposant une appréciation générale de la musique au sein des arts. En somme, elle n’a guère fourni d’instruments pour la critique et le jugement de goût. Et s’il est évident que l’esthétique musicale se nourrit d’abord de l’étude des œuvres, celles-ci ont figuré au second plan dans la théorie musicale qui les précédait, en définissant leurs conditions de possibilité, les alimentait en matériaux ou, plus exceptionnellement, les rationalisait en parallèle ou a posteriori.


D’ordinaire, la théorie musicale désigne, à l’âge classique et romantique, l’étude des structures de la musique divisée en mélodie, contrepoint, harmonie, mètre, rythme, phrasé et forme et, à un niveau plus général, des échelles, des modes, des tonalités, des tempéraments, des systèmes de hauteurs et des lois qui les gouvernent. À la fin du XIXe siècle, le musicologue Hugo Riemann la définit, dans son Dictionnaire de musique (Musiklexikon, 1882), introduisant comme troisième acception, contrairement à ce que nous venons d’écrire, la perception de l’œuvre – ouvrant de la sorte la voie à une modernité où se recouvrent, du moins partiellement, théorie et esthétique : « La théorie de la musique consiste ou bien en l’étude des manipulations techniques de l’écriture musicale, manipulations établies par la pratique, puis formulées en un certain nombre de règles précises, dont l’ensemble, logiquement ordonné, forme une méthode (basse chiffrée, théorie de l’harmonie, contrepoint, composition), ou bien en la recherche des lois naturelles de l’audition musicale, des effets élémentaires des différents facteurs de l’œuvre d’art musicale et, enfin, de la perception de l’œuvre musicale achevée, dans son ensemble (théorie spéculative de la musique, philosophie de la musique, esthétique musicale) ».

L’usage du mot « théorie » pour embrasser ces domaines n’a cependant pas toujours été la règle. Ainsi, theoria n’est jamais utilisé pendant le haut Moyen Âge pour désigner des écrits sur la musique. On lui préfère scientia, au sens philosophique. Avec l’aristotélisme triomphant du XIIIe siècle et ses intermédiaires arabes, Francon de Cologne, notamment, commence à utiliser les latins theoria et practica – il en est de même chez Jean des Murs, Walter d’Odington ou Johannes Grocheo. Alors que l’humanisme renaissant renoue avec le monde grec, Franchino Gaffurio ressuscite, avec son Theorica Musicae (1492), le mot grec de theôria, disserte sur les apports de Platon ou Nicomaque, et reprend les thèmes des théoriciens antiques : tonoièthos des modes et des genres, calcul du monocorde d’après Euclide et Ptolémée, méditation sur les pouvoirs cathartiques et magiques de la musique… Ce rappel historique, certes succinct, atteste une hésitation terminologique certaine.


Un premier changement d’importance se manifeste au cours du XVIIe siècle. De nombreux problèmes avec lesquels la théorie de la musique est historiquement identifiée  dont les plus fameux sont ceux de la résonance et de l’évaluation de la consonance – deviennent du ressort des sciences naturelles. Le régime théorique se tourne alors vers l’étude de la perception, de l’organe à la sensation, et un mouvement s’amorce vers l’acoustique, discipline établie par Joseph Sauveur. La réduction de la théorie à ce que Johann Mattheson qualifiait, non sans ironie, de « mathématiques » musicales conduit peu à peu à son appauvrissement et engage une scission de la discipline – ou plutôt une confusion de ce que cette discipline prend pour objet. Si Franchino Gaffurio étudiait la doctrine de la proportion, ses fondements mathématiques, l’intervalle musical qui en découle et les espèces de la consonance, Johann Forkel (1749-1818), qui entend redonner ses lettres de noblesse à la théorie, la divise, dans son Histoire générale de la musique (Allgemeine Geschichte der Musik, 1788-1801), en physique, mathématique, grammaire, rhétorique et critique, faisant de cette théorie au domaine considérablement élargi une discipline pour « amateurs » et « connoisseurs ». Ainsi, la section sur la grammaire traite des tons, échelles, tonalités, modes et figures mélodiques, de l’harmonie, du rythme, de la prosodie, de l’accentuation, de la métrique et du phrasé. Celle sur la rhétorique, des structures périodiques, rythmiques, logiques, homophoniques ou polyphoniques, de la musique dans ses diverses fonctions (musique d’église, de chambre, pour la scène et le théâtre…), de l’ordonnancement des idées musicales, de l’exécution, de la critique, de la nécessité de lois et des notions de beauté ou de goût personnel et national. C’est ainsi que la théorie est appelée à s’enrichir déjà d’autres disciplines et, chez Forkel dissertant sur le beau et le goût, de l’esthétique musicale.

FOCUS SUR JOHANN NIKOLAUS FORKEL



Le XXe siècle a opéré un nouveau changement d’importance. Contrairement à la plupart des théories musicales antérieures, la théorie s’est faite compositionnelle – quand bien même Heinrich Schenker (1868-1935) et ses disciples perpétuent un type de normativité musicale. En effet, à l’exception des milieux où les compositeurs participent d’une communauté artistique qui n’est pas exclusivement musicienne – le surréalisme, le futurisme, Fluxus, les minimalistes… –, et où l’on s’interroge sur ce qu’est ou doit être la musique (la composition) et sur ce qu’elle n’est pas ou ne doit pas être, la théorie n’est plus que secondairement, voire marginalement, une prise de position sur la nature de la musique. Elle n’est dès lors pas obligée de se fonder explicitement sur des définitions et des axiomes relatifs à la musique en général, à la manière de Rameau dans la Génération harmonique : « La musique est une science physico-mathématique, le son en est l’objet physique, et les rapports trouvés entre différents sons en sont l’objet mathématique ; sa fin est de plaire, et d’exciter en nous diverses passions ».
Au contraire, comme l’ont écrit les musicologues Claude V. Palisca et Ian Bent, le XXe siècle est celui où les théoriciens de la musique, ont, de fait, renoncé à l’universalité de toute thèse. Dans cette perspective, on pourrait dire de la théorie au XXe siècle qu’elle n’est ni générale ni normative : contrairement à bien des théories musicales plus anciennes, elle commence par sélectionner un sous-ensemble, pertinent pour elle, d’éléments musicaux, ce qui circonscrit a priori son champ d’application – même si cette circonscription peut se montrer ambitieuse et partir d’une réorganisation systématique du tempérament, des hauteurs, du rythme, du timbre… Plus ou moins spéculative, formalisée et cohérente, la théorie est susceptible de se confondre avec la description normée d’un langage musical, et les frontières s’avèrent poreuses entre les notions de théorie, de technique, de système et de méthode. C’est pourquoi, dans le cadre des cours d’été de Darmstadt, par exemple, l’élaboration théorique passa, d’une part, par la mise en discussion de techniques de composition innovantes (c’est l’aspect le plus notoire) et, d’autre part, par l’analyse d’œuvres anciennes devenues emblématiques. Ainsi, comme Anton Webern avait analysé les contrepoints de Heinrich Isaac, Karlheinz Stockhausen étudia les groupes du Concerto op. 24 de Webern ; Luigi Nono scruta un motif récurrent dans les Variations pour orchestre op. 31 d’Arnold Schoenberg, et Pierre Boulez définit, à travers les rythmes du Sacre du printemps, les règles bientôt rompues dans l’acte qui les fait joue.


Mais créer, pour un compositeur, c’est, depuis Arnold Schoenberg plus particulièrement, penser hors du langage musical – par le verbe – tout ou partie de ses déterminations, se livrer à l’introspection théorique, critique, esthétique et analytique, baliser les chemins d’une œuvre achevée ou en devenir – la voir avec les yeux d’Épiméthée ou avec ceux de Prométhée – et, ainsi, renouveler concepts et méthodes. Le rôle des théories de la composition est donc sans précédent au XXe siècle, non pas au sens où les écrits de compositeurs auraient été proportionnellement plus nombreux qu’aux siècles précédents – c’est possible, même si cela reste difficile à mesurer – mais parce que l’élaboration théorique et sa publication ou sa transmission verbale ont été intégrées en profondeur à l’activité pratique de composition, à laquelle elle a servi, à la fois, d’outil de consolidation – pour les techniques déjà expérimentées  et d’aiguillon prospectif, pour celles en devenir. Dialoguant avec l’œuvre dont elles procèdent et à laquelle elles retournent volontiers, les théories de la composition sont ainsi devenues, de façon bien plus directe qu’auparavant, indissociables de la création. Comme l’écrit le compositeur Gottfried Michael Koenig : « La composition musicale ne se rapporte pas seulement à une théorie déjà établie, elle engage elle-même une ambition théorique qui est constitutive de l’élan premier d’une œuvre d’ar ».

Qu’en est-il alors de la recherche musicologique sur ces théories ? Avançons trois axes :

1. Premier axe : l’édition critique et la traduction des ouvrages majeurs de l’histoire de la théorie musicale. De 1950 à 1997, l’American Institute of Musicology, dans sa collection Corpus Scriptorum de Musica, a publié certains des traités les plus importants du Moyen Âge et de la Renaissance, sans toutefois en offrir de traduction. En France, outre l’Harmonie universelle (1636-1637) de Marin Mersenne qui avait, dès 1963, fait l’objet d’une réédition introduite par François Lesure (Éditions du CNRS, il revient à des chercheurs, notamment du CNRS (Centre d’études supérieures de civilisation médiévale, Centre d’études supérieures de la Renaissance, Centre de musique baroque de Versailles, Institut de recherche en musicologie) d’avoir, ces dernières années, mis à la disposition du lectorat francophone – déclin de la connaissance du grec et du latin oblige… – d’autres théoriciens anciens (parmi lesquels Boèce, Jean des Murs ou Descarte), dont certains avaient déjà été traduits, néanmoins, en d’autres langues modernes. On pourrait également citer, plus tard dans l’histoire de la musique, les écrits de Johann Joseph Fux ou d’Antoine Reicha, réédités depuis pe. Mais beaucoup reste à faire dans ce domaine, depuis les théories grecques, médiévales, renaissantes, baroques, classiques et romantiques, jusqu’à nos jours, ce qui exige une maîtrise de la langue dans sa dimension la plus technique et spécifique (le latin médiéval, l’italien du xve siècle…), mais aussi des connaissances approfondies des théories musicales, ainsi que de la science et de la pensée contemporaines de l’ouvrage traduit.

2. Second axe : l’histoire de la théorie musicale, au regard des évolutions de la philosophie et de la science, une tâche à laquelle la musicologie anglo-saxonne et allemande s’est attelée depuis fort longtemp. Citons à cet égard les études récentes sur les apports de la mathématique grecque aux théories de l’Antiquité ; sur les théories musicales de Leonhard Euler (1707-1783), mathématicien et physicien qui étudia aussi l’optique, la mécanique, l’astronomie, la dynamique des fluide ; sur les concepts à l’œuvre dans la fondation de l’harmonie au XVIIIe siècl ; sur la théorie musicale germanique du XIXe siècle et l’idée de cohérenc ; sur les théories scientifiques de la musique au XIXe et du XXe siècle…
Autre exemple : Penser la musique aujourd’hui (1963) de Pierre Boule apporte un correctif à l’idée du sérialisme comme généralisation et systématisation de la technique dodécaphonique viennoise. Dans cet ouvrage, Boulez approfondit la théorie, l’élargit et ouvre sa pensée au domaine de la logique mathématique. Prenant acte de la diversité de la perception des quatre dimensions du son (hauteur, durée, intensité, timbre), il considère la diversité des ordres d’une série désormais conçue comme « germe de hiérarchisation ». D’une lecture passionnante, mais ardue – son exposé oral, à Darmstadt, décontenança la plupart des auditeurs, pourtant aguerris –, l’ouvrage établit une morphologie et une syntaxe, mais se heurte à la question du sens, que ne saurait résoudre qu’une esthétique. La théorie, tendant à une axiomatisation et à une formalisation du langage musical, emprunte ici, volontiers, à la science moderne (Moritz Pasch, Louis Rougier et Léon Brillouin), modèle pour la pensée compositionnelle aux systèmes fondés sur des critères exclusivement musicaux.
Citons un dernier exemple, d’hier à peine : dans le dernier tiers du XXe siècle, la théorie de la musique spectrale s’est constituée sur les théories de l’information. Et le compositeur Gérard Grisey, lecteur d’Abraham Moles, de distinguer, dans ses réflexions sur le temps : 1. La périodicité : les événements se succèdent à intervalle de temps d’égale durée, degré maximal d’ordre ; 2. La progression arithmétique : la différence entre tn et tn-1 reste constante ; 3. La progression géométrique : le quotient des durées de deux intervalles de temps consécutifs reste constant ; 4. L’accélération par élision : le processus suit des lignes régulières, interrompues par de brusques discontinuités ; 5. L’accélération / décélération statistique : la distribution des événements dans le temps se présente de manière aléatoire, mais le processus reste orienté ; 6. Le bruit blanc, comme distribution imprévisible des événements, degré maximal de désordr. Sans doute conviendrait-il enfin de faire l’histoire de la théorie contemporaine, au plus près : des communautés technologiques échangeant leurs comptes rendus d’expérimentation ; des nouveaux types de collaboration entre compositeurs et interprètes dans la perspective d’une recherche en art en voie d’intégration dans les établissements d’enseignement supérieur ; le renouvellement de catégories dans les discours de musiciens ; une crise de la notation musicale résultant surtout de l’informatique et appelant d’autres formalisations…

3. Troisième axe : qui dérive de ce qui précède : c’est appeler de nos vœux, en ce XXIe siècle largement engagé, l’édification de nouvelles théories musicales et compositionnelles, à l’exemple des recherches que Jean-Claude Risset et Hugues Dufourt menèrent au CNRS, et alors que l’Ircam invite les compositeurs que l’institution accueille à une théorisation suscitée par la formalisation informatique des savoirs musicaux, laquelle caractérise la composition avec ordinateur et la recherche acoustique, instrumentale, technologique.

 

 

L'esthétique et son kaléidoscope


Une autre discipline, éclose au XVIIIe siècle, a fait l’objet d’intenses recherches en musicologie depuis la Libération : l’esthétique musicale, dont le sens a également subi quantité de modifications en relation avec des disciplines, émergentes ou non, en sciences de l’homme et de la société. Au nombre de celles-ci, la philosophie, dans ses déclinaisons dialectique, marxiste, phénoménologique, herméneutique et analytique, mais aussi bien d’autres champs parmi lesquels : la psychologie, la psychanalyse, la sociologie, l’anthropologie, la linguistique, la sémiotique, les gender studies, les cultural studies, ou l’écologie… Comme pour la théorie, nombre d’ouvrages majeurs doivent encore être traduits et édités de manière critique – sources primaires et secondaires. Sans doute, avant d’avancer plus avant dans cette discipline de philosophie de l’art et de science du beau, doit-on soulever des questions auxquelles il serait bien imprudent de répondre dans le cadre de cet article :

  1. Peut-on faire de l’esthétique musicale sur des répertoires antérieurs à l’avènement de la discipline ? Autrement dit, existe-t-il, et à quelles conditions, une esthétique de l’Antiquité, du Moyen Âge ou de la Renaissance ?

  2. Comment faire de l’esthétique musicale sur des répertoires où la notion de musique n’est pas établie, comme en ethnomusicologie, quand transcrire la musique de l’Autre, c’est encourir le risque d’en gauchir l’idée qu’il s’en fait ?

  3. Quid de l’esthétique à une époque, la nôtre, où le rebut, sinon l’abject participent de l’art et où le beau ne serait plus un dénominateur commun, mais la marque du philistinisme des classes dominantes, après que la seconde guerre mondiale en a révélé l’incapacité à endiguer la barbarie ?

 


Si le beau s’accorde à une certaine appréhension du réel, les diverses théories qui s’attachent à en définir les éléments, les conditions et les lois, se rassemblent sous le terme d’esthétique, que forge, au XVIIIe siècle, le philosophe allemand Alexander Gottlieb Baumgarten (1714-1762), à partir du grec aisthèsis, faculté de percevoir par les sens, sensation. « La science du mode de connaissance et d’exposition sensible est l’esthétique (logique de la faculté de connaissance inférieure, gnoséologie inférieure, art de la beauté du penser, art de l’analogon de la raison) », écrit ainsi Baumgarten dans sa Métaphysique (Paragraphe 533).
Il ne s’agit plus de poétique, de technique, de savoir-faire ou de théorie normative, indiquant les règles que l’artiste se doit de suivre. L’esthétique inscrit l’œuvre dans un projet philosophique qui ne relève ni de l’idée transcendante, ni de la seule perception, ni de la pure connaissance, ni de la seule sensibilité, mais d’une « science neuve », tenant à la fois du rationnel et du sensible. Aussi embrasse-t-elle plaisirs, sentiments, sensations, normes du bon goût et valeurs artistiques, établissant une relation d’essence entre l’art, le beau et la sensibilité. Car l’esthétique est une théorie, sinon une métaphysique du beau – et, à la suite de Kant, du sublime  comme manifestation d’une perfection formelle, étude des modalités et des conditions concrètes de l’apparition de la vérité esthétique, et une scientia cognitionis sensitivae. Baumgarten distinguait deux pouvoirs de connaître : le premier sensible et confus, le second rationnel et clair ; et il fondait l’esthétique sur une faculté intermédiaire. Il en résulta deux mouvements :

FOCUS SUR BAUMGARTEN

FOCUS SUR KANT

 

a. la définition des conditions de possibilité du jugement de goût, l’analyse du plaisir esthétique et la reconstitution de l’expérience interne du créateur et, en musique, de l’interprète et du sujet à l’écoute ;

b. l’inscription dans les sciences auxquelles il est fait appel pour éclairer l’œuvre, ses conditions d’engendrement, sa nature et sa signification propre.


L’objet esthétique, l’œuvre et les lois qui l’animent, est donc saisi en soi ou mis en rapport avec la technique qui l’a produit, l’histoire dans laquelle il s’insère et la culture qu’il institue et traduit à la fois en d’incessants échanges.


À cet égard, l’analyse musicale, dont le compositeur Jean Barraqué fut, dans les années soixante, l’un des maîtres au CNRS (avec ses études sur la Cinquième Symphonie de Ludwig van Beethoven, La Mer de Claude Debussy et les Variations pour piano op. 27 d’Anton Weber), offre des instruments pour le jugement de goût, pour le beau et pour l’évaluation de ses lois. Ainsi, selon le musicologue Ian Bent : « L’analyste fournit un matériau de base que l’esthéticien peut prendre à témoin en formulant ses conclusions, et ce que l’analyste définit comme spécifique fournit à l’esthéticien un moyen de contrôle permanent sur sa définition du général ; à l’inverse, les aperçus de l’esthéticien donnent à l’analyste des problèmes à résoudre, conditionnent son approche et sa méthode, et finalement lui procurent les moyens de mettre à jour ses conjectures sous-jacente».
Mais la veine dominante, encore vivace, et que l’on pourrait dire « naturelle », du commentaire musicologique, celle-là même qu’Arnold Schoenberg abhorrait, s’éloigne de l’œuvre, se refuse à entrer dans la dure matérialité de son vocabulaire et de sa grammaire, mesure continûment les relations avec d’autres modes de pensée, avec l’esprit du temps, avec le Zeitgeist, et observe comment la musique est agissante et agie par ses milieux. De sorte que l’esthétique, distincte de la critique, soucieuse d’une connaissance plus globale des faits artistiques, a progressivement envahi le discours sur les modernes et s’est lentement coupée de l’univers des formes concrètes, s’élaborant en discours en soi, spéculation étrangère à son objet, et tendant à l’autonomie – ou la regagnant.

Citons quelques exemples, chronologiques, en autant d’instantanés qui exigeraient d’amples développements.

Il est saisissant d’observer à quel point, au lendemain de la seconde guerre mondiale, le temps tient à nouveau une place essentielle dans les écrits d’esthétique musicale – mais la musique n’est-elle pas art du temps ? L’expérience du conflit, de ses prémisses, de son attente, de ses déflagrations, de la survie, de l’imminence de la mort et de la dévastation, n’y est sans doute pas étrangère. À cette expérience s’ajoute le discours philosophique qui, depuis le début du XXe siècle, ravive le concept. Henri Bergson, on le sait, n’y est pas étranger, pas plus qu’Edmund Husserl ou Martin Heidegger en Allemagne, où leurs ouvrages trouvent un écho chez les compositeurs Karlheinz Stockhausen ou Bernd Alois Zimmermann, et dans quantité d’ouvrages d’esthétique. Après la mort de Bergson, en 1941, d’autres auteurs français, dont certains moins lus aujourd’hui, méditent sur le temps : Jean Guitton, Ferdinand Alquié, Louis Lavelle, sans même évoquer Gaston Bachelard et, plus particulièrement, sa Dialectique de la durée. Ces ouvrages irriguent l’enseignement d’Olivier Messiaen au Conservatoire de Paris, ainsi que Le Temps musical de Gisèle Brele, thèse dense, publiée en 1949, et nourrie de références philosophiques et scientifiques, notamment psychologiques. Gisèle Brelet y étudie le son, en tant que révélation du temps, le devenir de la mélodie et l’harmonie par laquelle « la durée vécue de la mélodie devient temps contemplé ». Puis, adoptant la thèse selon laquelle le temps est rythmique, et le rythme, temporel, Le Temps musical consacre, dans sa deuxième section, une large part de ses réflexions à la notion de rythme. Or, le rythme musical, réfléchi, conscient de soi, engendrant le temps en l’acte même par lequel il le mesure, purement temporel, « mélodie du temps pur », résulte d’une création – aussi se distinguerait-il du rythme de la vie, qui ne se sait pas rythmique – et fabrique du continu avec du discontinu. Ce rythme exprime la démarche par laquelle la conscience se constitue en constituant le temps : « Le rythme est l’ordre du temps créé par la conscienc». Dans une troisième section sur la forme musicale, Gisèle Brelet disserte sur l’expression, les sentiments temporels, la réconciliation du devenir et de la forme, et atteint une philosophie du temps. On le devine aisément, l’ouvrage est traversé des débats de l’époque, entre le bergsonisme et un formalisme auquel la poétique d’Igor Stravinsky n’est pas étrangère. Une telle esthétique musicale, exigeante, irrigue la Bibliothèque internationale de musicologie que dirige Gisèle Brelet et qui publie, jusqu’en 1963, quantité d’ouvrage.


Au cours des années soixante, et pendant la décennie suivante encore, la critique des fondements de la musique occidentale trouve sa pleine expression dans les écrits du compositeur, poète, plasticien et mycologue John Cage, avec un incontestable retentissement en Europe. Qu’en est-il ? La tradition musicale américaine est empirique, loin du concept, de la logique, des règles d’engendrement et de construction, du souci autoritaire et intimidant du faire, et brise le diktat des structures et l’omniscience des systèmes ou des méthodes qui, avec une précision machinique, choisissent au nom même des sons. « Laisser les sons être ce qu’ils sont », invite John Cage, qui entendait se délivrer de la tradition et de l’écoute que cette tradition avait patiemment forgée par le raffinement de l’harmonie, du contrepoint, de la polyphonie et des timbres de l’orchestre, par le métier en somme. Ce métier prônait une écoute visant à la reconnaissance de thèmes, de leur tonalité, de leurs variations et de leurs reprises, donc de la forme et de ses arêtes ; une écoute forgée par un savoir qui a déjà transformé le son en une note, soumise à une grammaire, promise à un ordre, et excluant de fait le bruit, la densité du silence et les rumeurs du monde. Pour écouter, enseigne John Cage, il est également nécessaire de délester le son des émotions qui n’appartiendraient qu’à celui qui compose. « Les sons sont-ils des sons ou sont-ils Beethoven ? » Il ne s’agit pas, bien sûr, de nier l’émotion, mais de s’abstenir de l’imposer, de traverser ce mur qu’est l’ego, lequel assujettit en dévaluant le son en discours. Le sujet ferme, stable, abstrait, n’est désormais plus au centre de l’expérience. Il s’abandonne, assume un entier détachement et tend, ascétique, à imiter la nature qui n’a pas de but. Devant une telle révolution musicale, d’une portée analogue à celle de Marcel Duchamp dans les arts plastiques, l’esthétique musicale se trouve alors devant l’obligation de repenser ce qu’est la musique – et de manière plus précise que Luciano Berio, selon qui la musique est ce qu’on écoute avec l’intention d’écouter de la musique. Cette esthétique, qui se situe entre une théorie non normative et une ontologie particulière, connaît un premier mouvement, initié dans le cadre de l’Institut d’esthétique et des sciences de l’art (aujourd’hui l’Institut Arts – Créations – Théories – Esthétique), sous la direction d’Étienne Souriau. Ce n’est assurément pas un hasard si ce philosophe, auteur, entre autres, d’un ouvrage intitulé La Correspondance des arts, et artisan, dès l’immédiat après-guerre, d’une esthétique comparée, soucieux de définir l’art, en soi, dans la nature et en regard des activités humaines, accueille et favorise de semblables recherche.

Au cours des années 1970-1980, considérant la musique comme une forme symbolique, distinguant la signification verbale de la signification musicale et, curieuses des systèmes de signes intentionnels non linguistiques, la sémiologie et la sémiotique musicales interrogent la dimension sémantique de la musique. Elles en étudient les émotions, les humeurs, temporaires et évanescentes, non différenciées, et les affects, relativement permanents et stables. Elles explorent encore et principalement la signification, sa portée, son statut épistémologique, les rapports qu’elle est apte à nouer, les catégories de la référence, de la vérité ou de l’inférence qu’elle déploie, à l’occasion les dispositifs de communication sur lesquels elle repose ou qu’elle engendre. Elles analysent enfin les conditions historiques, culturelles et sociales qui préludent à son émergence – comme une métathéorie des sciences sociales. Dans ce contexte, un hiatus persiste entre deux écoles. La première prône que le sens de la musique réside dans l’œuvre en soi. Ce sont les tenants d’une signification musicale intrinsèque, d’une endo-sémantique, attentive à la forme en mouvement que serait, selon le critique Eduard Hanslick, la musique. La seconde soutient que la musique communique des significations en référence à un monde extra-musical, traversé de concepts, d’actions, d’émotions et de caractères. Ce sont les tenants de significations musicales extrinsèques ou des « réverbérations » de cet art. Mais un autre terme fait alors florès, au CNRS, toujours à l’Institut d’esthétique et des sciences de l’art, celui de poïétique, emprunté à la tripartition du sémiologue Jean Molino, et que développe le musicologue Jean-Jacques Nattiez, qui en établit le domaine, dont relèvent « les conditions philosophiques, sociologiques, psychologiques, historiques, esthétiques, matérielles qui motivent ou conditionnent le créateur jusqu’à ce que l’œuvre soit considérée comme achevé ». Outre le niveau esthésique, comme lecture, contemplation ou écoute de l’œuvre, Jean Molino établit un niveau dit neutre, ou dit matériel, voire propédeutique, correspondant au niveau immanent de l’œuvre, dont rend compte l’analyse paradigmatique, reposant sur la répétition et l’équivalence, et dont la définition a soulevé bien des questions et de vives polémiques. La tripartition poïétique-neutre-esthésique serait constitutive de la sémiologie.

FOCUS SUR POIETIQUE ET ESTHESIQUE

 

Et aujourd'hui ?


Des années après la révolution cagienne, et simultanément à une nouvelle philosophie de l’art (musical ou non), une autre ontologie se développe. D’origine anglo-saxonne et dans le sillage de la philosophie analytique, elle met en avant les propriétés d’audibilité, de temporalité, de relation et d’intention en vue d’une appréciation esthétique. Le philosophe Jerrold Levinson, dont les ouvrages paraissent peu à peu en traduction française, définit ainsi la musique : « Musique = un ensemble de sons temporellement organisés par une personne (ou un groupe de personnes) dans le but d’enrichir ou d’intensifier l’expérience par une relation active avec des sons (via, par exemple, l’écoute, la danse ou l’exécution à l’aide d’un instrument) considérés avant tout, ou du moins de manière significative, comme des son».
Le problème n’est pas de donner une définition de la musique, ni même des œuvres musicales, mais plutôt de dire en quoi elles consistent. La partition : une œuvre musicale peut-elle être détruite au même titre qu’une statue ou une toile ? L’exécution : si une partition n’est pas exécutée pendant un certain temps, l’œuvre existe-t-elle ? Ou encore l’interprétation, laquelle manifesterait de manière sonore l’œuvre symboliquement encodée dans la partition. L’authenticité d’une interprétation – et l’authenticité comme horizon de toute interprétation – ne serait pas indépendante de l’ontologie de l’œuvre. C’est établir ou rétablir des intentions ; c’est aussi, dans ce contexte, dépasser la question de l’instrument d’origine (dans la musique baroque), par celle de l’expressivité, des actions, des gestes, ainsi que des mouvements physiques dont cette musique est porteuse.

Sans doute ce qui se développe également de nos jours, à la faveur d’une spécification des savoirs, c’est une esthétique critique et singulière – esthétique d’une œuvre, d’un compositeur, d’un genre, d’une période, d’une aire géographique…, mais dans le cadre d’une esthétique qui affronte en regard, en un même mouvement, sa propre histoire. Nombre de compositeurs, de l’avant comme de l’après-guerre, ont usé de références aux sciences humaines : Arnold Schoenberg, lecteur d’Arthur Schopenhauer ; Bernd Alois Zimmermann, lecteur d’Edmund Husserl ; Jean Barraqué, lecteur de Michel Foucault ; André Boucourechliev, lecteur de Roland Barthes ; Luciano Berio, lecteur d’Umberto Eco ; Morton Feldman, lecteur de Ludwig Wittgenstein, pour ne citer que quelques exemples. Il reviendrait au musicologue d’établir l’état exact des connaissances, par ces compositeurs, des sources qu’ils convoquent (à travers les marginalia en particulier, mais pas seulement), d’étudier la pertinence et la créativité de leur maniement, d’en suivre les traces dans les discours (théorie, critique, esthétique, analyse…) et dans l’œuvre musicale. Bref, de déconstruire l’esthétique.