FORME ET TIMBRE

 

LE TIMBRE AU PIANO

« Observe de bonne heure le son et le caractère des divers instruments ; cherche à pénétrer ton oreille de leurs timbres propres. »

(Robert Schumann, « Règles de conduite du musicien »,dans Écrits divers sur la musique.
La version allemande originale a été publiée sous le titre « Musikalische Haus- und Lebensregeln » en supplément du vol. 32 no 36 de la Neue Zeitschrift für Musik, le 3 mai 1850, à Leipzig : « Achte schon frühzeitig auf Ton und Charakter der verschiedenen Instrumente ; suche ihre eigenthümliche Klangfarbe deinem Ohr einzuprägen. »

Le timbre musical apparaît comme primordial dans la musique de Schumann. Une simple formule didactique pointe la nécessité pour tout musicien d’y faire attention. A priori adressée à tout musicien, ainsi que l’ensemble des Musikalische Haus- und Lebensregeln d’ailleurs,Schumann vise ici surtout les pianistes.
On comprend aisément la notion de timbre quand il s’agit de faire la différence entre plusieurs instruments (le timbre identitaire, c'est-à-dire, les différences entre une flûte et une clarinette, ou un violon), mais l’opération devient plus complexe quand il s’agit de se plonger dans une écoute différenciée des timbres d’un instrument seul (timbre qualitatif).

 

La conférence de Michèle Castellengo est très intéressante, mais concentrons-nous sur les dix minutes suivantes :

Cette réflexion de Schumann questionne, quant à son contenu, la place et le rôle du timbre dans l’œuvre et la pensée musicale du compositeur. Nous nous intéresserons plus loin à l'orchestre chez Schumann. (Certains musicologues ont écrit que Schumann était un très mauvais orchestrateur, tandis que d'autres voyaient en lui un orchestrateur magnifique. A découvrir avec vos avis !)

À propos de sa musique pour piano, Marcel Beaufils remarquait que « la réévaluation du réel, qui constitue la révolution romantique, entraîne une série de réévaluations, dont celle du son d’abord, au fondement de la construction musicale. [...] Schumann travaille sur toute la palette des couleurs, mais de couleurs qui ne sont plus des qualités de l’apparence : qui sont les timbres vivants du réel, la matérialité même de l’univers ». Or, cette nouvelle attention portée au son physique et sensible et à ses qualités timbriques, dans le cadre de l’esthétique pianistique schumannienne, a été relativement peu approfondie d’un point de vue musicologique, et plus particulièrement analytique.

Marcel Beaufils, La musique pour piano de Schumann (Paris : Phébus, 1979), p. 40.

A voir aussi : Damien Ehrhardt, « Le piano orchestral », Cahiers Franz Schubert, 14 (1999), p. 36-48

Dans quelle mesure et par quels moyens le timbre entre-t-il en jeu dans le traitement des formes musicales brèves ?

Exceptées la première et la dernière, les vingt-deux pièces n’excèdent pas quelques dizaines de mesure – douze pour « Aveu », la plus courte de l’œuvre.

Organisées sous la forme d’un cycle dont la cohérence aussi bien tonale que motivique a fait l’objet de plusieurs analyses, les pièces du Carnaval n’en conservent pas moins une individualité et une souplesse formelles, comme en témoigne l’édition française de l’œuvre restreinte à un total de douze pièces, mais également les interprétations pianistique de pièces choisies de l’œuvre – telle celle donnée par Liszt le 30 mars 1840 à Leipzig, en présence de Schumann.
L’idée de brièveté formelle s’inscrit de plus dans un engouement de l’époque pour les petites formes musicales comme littéraires. Schumann s’adonne d’ailleurs lui-même dès 1834 à la rédaction et à la publication, dans la Neue Zeitschrift für Musik, de textes aux titres aussi évocateurs que « Aphorismes », « Pensées aphoristiques » ou encore « Fragments ». C’est par conséquent dans le contexte d’un mode général de pensée fondé sur la brièveté, mise au service de la défense des intérêts de l’art musical, que s’inscrit le Carnaval en tant que véritable « manifeste artistique ». Outre ces spécificités formelles, le Carnaval de Schumann se distingue également par des singularités d’ordre timbrique, particulièrement visibles sur le plan d’une écriture musicale qui met en jeu plusieurs modes de notation du timbre.

Comme l’explique Caroline Traube, le compositeur dispose de différentes façons de préciser le choix du timbre par la notation : en précisant un mode de jeu (le geste à appliquer sur l’instrument), l’articulation (la nature des attaques et de l’enchaînement des notes), la sonorité à produire (les caractéristiques perceptives du timbre) ou même, de façon plus indirecte, le caractère à évoquer. »

Caroline Traube, « La notation du timbre instrumental : noter la cause ou l’effet dans le rapport geste-son », Circuit : musiques contemporaines, 25/1 (2015), p. 36.

Le choix du timbre par le truchement d’un mode de jeu lié à une gestuelle instrumentale est visible dans les nombreuses indications de pédale, qui prennent alternativement une forme textuelle – « Pedale », « senza Ped. », « Ped. grande » – ou symbolique – le signe « Ped. » suivi d’une étoile.
Le terme « pédale » est utilisé pour désigner la pédale forte. Dans le Carnaval de Schumann, on ne trouve aucune indication concernant l’utilisation de la pédale una corda.

Différents effets timbriques sont visés, comme la création d’un timbre « sec » en opposition au jeu avec pédale :

« Pierrot » (mes. 43-46)

 

« Eusebius » (mes. 1-16)

 

 

« Pantalon et Colombine » (mes. 1-4 et similaires)

« Paganini » (mes. 33-37)

et la création d’effets de résonance

« Pierrot » (mes. 46-47)

 

« Paganini » (mes. 35-37) (voir plus haut)

« Promenade » (mes. 3).

Concernant le timbre lié à l’articulation, il résulte d’un système d’accentuation riche et précis, incluant des indications de jeu détaché (staccato), lié et accentué – chevrons inclinés et chevrons droits –, souvent combinées entre elles, par exemple :

« Pierrot » (mes. 1-8) : staccato avec arc de liaison, voir plus haut

« Valse allemande » (mes. 12-15), staccato avec arc de liaison

« Aveu » (mes. 2), accent avec arc de liaison

« A.S.C.H.-S.C.H.A. (Lettres dansantes) » (mes. 1), ou staccato et accent

« Paganini » (mes. 33-34).

Concernant la notation de la sonorité à produire, on peut y inclure les références à des timbres extra-pianistiques, tel le « quasi Corni » (comme des cors) du début de « Papillons ».

Enfin, la notation du timbre par le biais du caractère à évoquer se retrouve dans des indications d’expression telles que « maestoso » (majestueux) – « Préambule », « Valse noble » –, « brillante » (brillant) – « Préambule », « Marche des Davidsbündler contre les Philistins » –, « teneramente » (tendrement) – « Eusebius » –, « Passionato » (passionné) – « Florestan », « Chiarina », « Aveu » –, ou « con affetto » (avec cœur, avec amour) – « Estrella ».

À tous ces éléments relevant de l’écriture du timbre, il convient encore d’ajouter d’autres facteurs timbriques particulièrement pertinents dans le Carnaval tels que la dynamique, dont la palette s’étend de pianissimo à fortissimo, le nombre de parties simultanées, qui varie de une à neuf voix

« Paganini » (mes. 37), voir plus haut, l'accord de neuf notes

les registres

« Préambule » (mes. 87 sqq.),

« Paganini » (mes. 35-36), voir plus haut

« Pause »

« Marche des Davidsbündler contre les Philistins » (mes. 252-267)

les doublures

« Préambule » (mes. 1 sqq.), voir plus haut

« Eusebius » (mes. 17 sqq.)

« Reconnaissance » (mes. 1 sqq.)

« Aveu » (mes. 5 sqq.)

et l’ambitus

« Eusebius » (mes. 17 sqq.), voir plus haut

« Marche des Davidsbündler contre les Philistins » (mes. 283), voir plus haut.

L’ensemble de ce matériau contribue finalement à la création d’un « vocabulaire pianistique » susceptible « [d’établir] au clavier un régime spécifique du discours. »

Michelle Biget, Le geste pianistique. Essai sur l’écriture du piano entre 1800 et 1930 (Rouen : Publications de l’Université de Rouen, 1987),

C’est à présent sur les procédés liés à l’organisation formelle du timbre, envisagés sous l’angle de la notion de brièveté, qu’il s’agit de focaliser notre attention

 

B. LA FORME DANS LE CARNAVAL

EUSEBIUS :

Adagio, 32 mesures en Mib majeur.

Phrase A

Phrase B

La phrase B semble tirée de la phrase A

Aucun passage de développement, de transition et de cadence !

Lors de ses différentes répétitions, ses caractéristiques mélodico-harmoniques restent inchangées, les quelques modifications de hauteurs concernant essentiellement des notes étrangères au schéma harmonique de base ; ajout du fa4 comme anticipation du retard (mes. 5), ajout du do4 comme appogiature inférieure (mes. 15), suppression du retard fa (mes. 19).

Dans le détail : AABAB'A'BA (B'A' sont BA avec le octaves) ; on a le sentiment d'entendre ABA avec la sensation d'un B ternaire (ce qui renforce le sentiment ABA).

"Pour qui écoute “Eusebius”, les hauteurs et les rythmes s’avèrent secondaires et la couleur sonore primordiale".

Charles Rosen, La génération romantique. Chopin, Schumann, Liszt et leurs contemporains, trad. fr. Georges Bloch (Paris : Gallimard, 2002)

Mais c'est à travers le timbre que la forme se dégage nettement :

Mesures

Unités timbriques

Principales caractéristiques timbriques

1-16
A

Trois voix simultanées
Ambitus maximal de moins d'une octave
Pas de doublure
Dynamique : sotto voce/piano
Jeu sans pédale


17-24
B

Six à sept voix simultanées
Ambitus minimal de deux octaves et une quinte
Doublures à l'octave de la partie mélodique
Dynamique mezzo-forte
Jeu avec pédale

 

25-32
A
Trois voix simultanées
Ambitus maximal de moisn d'une octave
Pas de doublure
Dynamique : sotto voce/piano
Jeu sans pédale

 

PAGANINI :

37 mseures au ton principal de Fa mineur.

Tout en constituant un Intermezzo inséré au sein de la Valse allemande, cette pièce présente un intérêt formel en soi. Jacques Chailley explique,
« Paganini est construit ABA, le B restant d’esprit voisin et conservant les anticipations, mais legato [...] et de dessin différent. Après la reprise de A, une coda relativement longue introduit passagèrement le AsCh cyclique ».

Tout d’abord, la partie de main gauche, construite sur la base d’un décalage métrique, se trouve en position systématique d’anticipation d’une double croche par rapport à la main droite, induisant un décalage à la fois de l’accentuation et de l’harmonie. En outre, le matériau mélodique, qui se limite essentiellement à quelques formules en arpèges (mes. 1-8)

 

ou fragments de gammes (mes. 9-20),

est inséré dans une écriture pianistique en octaves brisées descendantes, si bien que les progressions mélodiques conjointes se situent davantage dans les relations à distance entre les hauteurs, particulièrement dans les voix internes de la polyphonie. Quant au matériau harmonique, il met en jeu des marches d’harmonies, des harmonies sur pédale et, à plus grande échelle, un parcours tonal fondé sur la dualité entre fa mineur et son relatif la bémol majeur. C’est ce passage en la bémol majeur (mes. 9-20), coïncidant avec l’introduction d’articulations de type legato et un changement de figuration pianistique, que Chailley désigne comme section « B » et qu’il fait suivre d’une coda dès la mesure 25.

Enfin, la pièce Paganini est caractérisée par le traitement sonore extrêmement original des trois dernières mesures, dont le jeu sforzando et avec pédale de quatre accords dans les registres medium-grave est suivi d’un accord de dominante de la bémol majeur situé dans les registres medium-aigu et attaqué, préalablement au relâchement de la pédale précédente, dans une dynamique triple piano. Comme l’explique Rosen : « Toutes les cordes du piano ont résonné du fait du fortissimo précédent, et le changement de pédale supprime les vibrations sympathiques, sauf celles des notes silencieusement enfoncées. Au moment où les autres sons s’évanouissent, on a une illusion auditive extraordinaire : les notes de l’accord apparaissent dans ce qui ressemble à un crescendo. C’est probablement, de toute l’histoire de la musique, le premier usage des harmoniques du piano en tant que tels». Rosen souligne ici – en accord avec Chailley – les implications à la fois acoustiques et psychoacoustiques de ce passage, mais sans donner de précision sur son rôle formel.

Considérons à présent la forme de Paganini au prisme du timbre.

Cette pièce se fonde sur un large éventail de modes articulatoires qui agissent au niveau du déroulement formel. Mis à part quelques passages fondés sur un seul type d’articulation, la plus grande partie de Paganini exploite des combinaisons d’articulations par l’alternance et la superposition de différents modes articulatoires, parfois au sein d’une même main. De plus, les articulations ne présentent aucun retour à l’identique au cours de la pièce. Afin de mieux cerner l’organisation résultant de ce facteur timbrique, des valeurs numériques ont été affectées aux différentes configurations d’articulations dans l’objectif de les classer sous la forme d’une échelle progressive : 0 à 9.
Les valeurs les plus faibles ont été affectées aux articulations les plus douces (1) – sans attaque, puis legato –, les valeurs les plus élevées aux articulations les plus marquées (9) – accents en chevrons droits. Les quelques sforzandos figurant dans la pièce ont été considérés comme relevant davantage de la dynamique que de l’articulation. L’évolution de ces valeurs au cours de la pièce fait apparaître cinq grandes tendances articulatoires – et par induction cinq unités timbriques – correspondant au schéma ABA′CD.

L’unité A est la seule – avec D – à se fonder sur un seul type d’articulation. Les autres unités présentent un profil dynamique, avec des articulations gravitant autour d’une valeur moyenne.
L’unité B, qui comporte une légère progression interne, établit un contraste timbrique avec A, accentué par le changement de dynamique de la mes. 9.
L’unité A' établit également un contraste avec B, tout en instaurant un timbre dérivé de celui de A.
Le retour des hauteurs initiales aux mes. 21-24 s’accompagne ainsi d’une modification de timbre résultant de la disparition des accents en chevrons inclinés et de l’introduction d’accents en chevrons droits – qui établissent le point culminant timbrique de la pièce –, le tout coordonné à une modification du registre, due à la transposition de la partie de main gauche à l’octave inférieure, ainsi que de la dynamique – forte aux deux mains.
Notons que l’unité A' se poursuit bien au-delà de la reprise des hauteurs initiales de la pièce.
La section C qui suit se fonde sur un élément timbrique nouveau, résultant d’une valeur articulatoire intermédiaire par rapport aux précédentes, et coordonné à un jeu sans pédale aux mes. 31-34.
Enfin, la section D, qui correspond à la dernière mesure de la pièce, se fonde sur la résonance sans attaque de l’accord commenté plus haut. Le timbre de ce dernier, situé au bas de l’échelle des articulations, établit un contrepoids par rapport à A et A' , et participe à la création d’un mouvement de détente final.
Notons en outre que les articulations, qui possèdent une pertinence particulière sur le plan formel de la pièce, présentent une forte corrélation avec d’autres facteurs timbriques – tels la dynamique, les registres et la pédale – qui soulignent alternativement chacune des articulations formelles de la pièce. Cette analyse timbrique met en évidence plusieurs aspects relatifs au traitement de la forme brève dans le cas de Paganini.

Tout d’abord, la structure de la pièce constituée de cinq unités timbriques contrastées, sans véritable retour, induit un développement continu de la forme, poussée sans cesse vers l’avant, ainsi qu’une densité de nouveauté du matériau particulièrement remarquable dans le cas d’une petite forme musicale. En outre, la présence d’un facteur timbrique dominant, qui agit au niveau formel tout au long de la pièce, donne lieu à des unités timbriques elles-mêmes dynamiques et complexes ainsi qu’à une variété timbrique au sein d’un espace restreint – voire à une virtuosité timbrique qui n’est pas sans rappeler la référence à Paganini. Enfin, le déséquilibre des proportions formelles, qui résulte des dimensions restreintes de l’avant-dernière et de la dernière unités timbriques, créé une sensation de précipitation et d’accélération formelles, accentuée par l’effet final de surprise dû au timbre quasi inouï de la dernière unité qui induit comme une chute du discours.

Mesures

Unités timbriques

Modes d'articulation

Classification

1-8

A

Staccato main gauche et main droite (molto staccato)
Accents main gauche sur 2° et 4° doubles
8
9-15

B

Legato main gauche et main droite par groupes de 4
Décalage d'une double entre main gauche et main droite
1
16
Liaison main gauche par 4
Liaison main droite par 2
2
16 (dernière double) - 20 (avnt-dernière double)
Liaison main droite par 2
Main gauche non legato
Une double sur deux accentuée, de façon complémentaire aux liaisons de la main droite
3
20 (dernière double) - 21 (premier temps)

A'

Accents aux chevrons sur toutes les notes
9
21 (2° temps) - 30
Staccato main gauche et main droite
7
31-32

C

Staccato main droite
Non legato main gauche
Accents sur 2° et 4° doubles
Notes tenues à la main gauche
5
33-34
Staccato main droite avec accents
Non legato main gauche avec accents
Notes tenues main gauche
6
35-36
Non legato aux deux mains
4
37

D

Sans attaque (résonance par sympathie)
0

 

Quelles conclusions est-il finalement possible de tirer des analyses précédentes au regard de la notion de forme brève et de son traitement particulier dans le Carnaval de Schumann ? Tout d’abord, ces analyses ont montré que le timbre est susceptible d’agir de façon continue sur le plan formel d’une petite pièce musicale, par le biais d’un ou de plusieurs facteurs timbriques. Il constitue ainsi un principe unificateur de la forme, dont il participe à la cohérence et à la cohésion internes. En outre, les analyses timbriques précédentes ont souligné la spécificité et l’originalité des formes brèves schumanniennes, tout comme leur détachement par rapport aux modèles formels classiques issus des dimensions mélodique et harmonique. Le jeu sur l’accélération et l’imprévisibilité de la forme, particulièrement visible dans le traitement des unités timbriques finales, contribue à accentuer de façon subtile le caractère de brièveté formelle. Enfin, ces analyses au prisme du timbre ont mis en évidence une certaine densité du discours musical au sein de formes brèves, résultant aussi bien de la dimension timbrique que de ses interactions avec d’autres dimensions musicales. Comme Schumann l’exprime luimême à propos du Carnaval : « Bien qu’il puisse y avoir dedans plus d’une chose qui charme tel ou tel auditeur, toutefois les pensées musicales se transforment trop vivement pour que tout un public puisse suivre, qui ne veut pas être ainsi effarouché toutes les minutes. » Au-delà du constat de la complexité liée au déroulement formel de l’œuvre, la considération – par le biais de l’analyse timbrique – du rôle formel du timbre permet d’éclairer de nombreux aspects relatifs à l’écoute et à la compréhension de ces formes brèves.

Résumé

Dans quelle mesure et par quels moyens le timbre entre-t-il en jeu dans le traitement des formes musicales brèves ? Cette question sert de fil conducteur à une étude de cas centrée sur le Carnaval op. 9 de Schumann, un ensemble de petites pièces dont les singularités timbriques transparaissent sur le plan de l’écriture musicale au travers de facteurs timbriques tels que la pédale, l’articulation, la dynamique, le nombre de parties, les registres, les doublures et l’ambitus. Un examen détaillé des pièces « Eusebius », (« Pantalon et Colombine ») et « Paganini » permet de mettre en regard des analyses formelles centrées sur les dimensions mélodique et harmonique avec des analyses formelles au prisme du timbre. Ces analyses timbriques apportent un éclairage nouveau sur le traitement des formes brèves schumanniennes, mettant en évidence le rôle du timbre en tant que principe unificateur de la forme, le détachement de ces formes brèves par rapport aux modèles formels classiques – visible notamment dans l’accélération et l’imprévisibilité formelles induites par les unités timbriques finales –, mais également la densité et la complexité du discours résultant du timbre et de ses interactions avec les autres dimensions musicales.