DANS LE MONDE ARABE

 

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La Nahda, la révolution et le mouvement féministe arabe

A la fin du XIXe siècle, Le Caire est la ville la plus importante du monde arabe et le lieu de l’effervescence culturelle et de ce qu’on appelle la Nahda ou renaissance arabe. On désigne par le terme de « nahda » (littéralement « envol, essor ») la vague dite de « renaissance arabe » dans les domaines intellectuel, spirituel, politique et littéraire, qui a caractérisé les provinces arabes de l’empire ottoman à partir du XIXè siècle. Les historiens datent le début de cette renaissance de l’expédition de Bonaparte en Egypte (1798). L’historien britannique d’origine libanaise Albert Hourani lui préfère le terme de liberal age. Les pays de l’Empire ottoman s’ouvrent à l’Occident et surtout à ses avancées scientifiques et technologiques. Sur le plan politique, l’Empire ottoman déclinant engage une série de réformes, les tanzimats (littéralement « règlements »). Le droit des individus progresse, la notion de citoyen émerge, la question de l’éducation devient centrale, la place des femmes et son émancipation sont questionnées. Les penseurs s’interrogent sur la place de l’islam dans la modernité. Il ne s’agit ni de se renier, ni de copier l’Occident. Un travail sur la langue arabe est effectué pour la simplifier et la moderniser. Sur le plan littéraire, on redécouvre les chefs d’œuvre de la littérature arabe classique, on traduit en arabe les ouvrages occidentaux majeurs des Lumières et de l’époque en cours.

La naissance du féminisme arabe

Les prémices du féminisme arabe sont portées à la fin du XIXe siècle par des hommes : Rifaa al-Tahtawi, envoyé en mission scolaire en France, déclare le droit des femmes à être instruites, tout comme Mohamed Abduh, père du réformisme orthodoxe et Qâsim Amin qui consacre son combat politique à la réforme de la famille et à la libération de la femme musulmane. Ses ouvrages Tahrîr al-mar’a (« La Libération de la femme ») et Al-mar’a l-jadîda (« La Femme nouvelle », 1900) abordent la question de l’éducation et du rôle de la femme dans la société, soulèvent le problème du voile et affrontent le sujet du mariage et du divorce. « Je ne crois pas qu’il soit exagéré de dire que les femmes sont le fondement solide de la civilisation moderne ». Les pionnières du féminisme arabe porté par des femmes sont sans conteste Hoda Chaaraoui (1879-1947) et Sofia Zaghloul (1879-1946), soutenues par May Ziade (1886-1941) : elles défendent la place de la femme dans la société égyptienne et l’espace public, contribuent à la lutte anti coloniale et promeuvent l’identité arabe.

Les noms de femmes qui ont fait changer les choses (à lire dans le document cité plus haut) : Sofia Zaghloul, Hoda Chaaraoui, May Ziadé.

La Reine du tarab, Mounira al Mahdeya

Le tarab, en arabe, désigne une émotion d’une grande ampleur, une extase, une communion des sens entre le spectateur et l’interprète, qui permet d’exhaler l’âme dans le tourbillon de la musique et de la danse et de la porter au firmament d’une ivresse artistique. Pour Gilbert Rouget, ethnomusicologue, c’est une « transe profane ». Mounira al Mahdiyya, surnommée « la Sultane de la chanson », est considérée au début du siècle comme la reine de cette extase musicale. Il faudra attendre une Oum Kalthoum pour qu’elle soit « déclassée ». En 1909, elle est la première femme égyptienne à enregistrer un disque 78 tours. C’est également la première femme musulmane du monde arabe à monter sur scène. Elle remplace au pied levé l’acteur principal de « Salah al-Din al-Ayubi », Salama Higazi, malade, et joue ainsi un rôle masculin. Elle a renouvelé l’expérience avec d’autres tragédies chantées. Elle se fait composer des opérettes sur mesure. « Le vent de la liberté souffle sur la salle de Mounira al Mahdia » affirment les affiches publicitaires de l’époque. Elle chante un répertoire de taqâtîq (ritournelles) traditionnelles, qu’elle interprète pour les femmes, mais maîtrise aussi le registre de la musique savante, qu’elle réserve plutôt aux hommes lors de soirées privées. Sa carrière culmine avec Cléopâtre et Marc Antoine en janvier 1927, opérette dont elle joue le premier rôle masculin après avoir congédié Muhammad Abdel Wahab, le compositeur qui devait tenir le rôle. Elle s’offre même le luxe de confier le rôle de Cléopâtre à sa concurrente, la chanteuse Fathiyya Ahmad. Elle n’abandonne pas pour autant le cabaret chanté. C’est également l’époque de la grande rivalité entre les trois reines du tarab, Mahdiyya, Ahmad et Kalthoum dont la presse aime se faire l’écho.

 

La naissance de la danse sharqui dans les cabarets : Badia Massabni (1872-1974)

D’origine syrienne, Badia Massabni s’installe en Egypte où elle ouvre plusieurs lieux de spectacle jusqu’au plus connu : le Casino Badia, au Caire, où les futures vedettes de la chanson et de la danse font leurs débuts, à l’instar de Samia Gamal.
De cabaret, le Casino Badia devient petit à petit une académie artistique, avec une formation d’une cinquantaine de danseurs, et un lieu de débat. L’écrivain Naguib Mahfouz (prix Nobel de littérature en littérature en 1988) y tient une conférence hebdomadaire. A la fois actrice, chanteuse, danseuse et femme d’affaires, Badia révolutionne le style sharqi (danse orientale) : savant mélange de gestuelle orientale (mouvements du bassin et du tronc) avec des mouvements plus adaptés à des spectacles de scène (déplacements, arabesques, tours...) grâce à l’apport de maîtres de ballets classiques. Ces spectacles prennent leur essor dans les années 30 et encore plus pendant la Seconde Guerre mondiale, grâce au public des militaires étrangers.

 

 

Oum Kalthoum 

 

La diva et l’incarnation du tarab

Oum Kalthoum, c’est LA diva : plus d’un million de personnes assistent à son enterrement au Caire en 1975, plus qu’à la mort du président égyptien Nasser ! C’est tout le pays, voire tout le monde arabe qui s’arrête de vivre tous les jeudis soir pour écouter à la radio la retransmission de son concert donné au Caire, dont les places sont réservées plus d’un an à l’avance. C’est la chanteuse aux innombrables surnoms, tous plus laudatifs les uns que les autres : le rossignol du Delta, Mademoiselle, Madame, la dame « el sett », la voix des Arabes, la quatrième pyramide, la bombe de Nasser, l’étoile de l’Orient. Mais c’est surtout l’incarnation du tarab : « Le tarab, c’est elle » écrit Naguib Mahfouz. Elle l’applique d’abord à elle-même : c’est en transe qu’elle interprète ses chansons. « Si on choisit les paroles on peut avoir l’impression que ce qu’on chante on le vit, c’est le point le plus haut, se mettre dans la peau d’une personne heureuse, triste ou exaltée. [...] Pour convaincre par mes chansons il faut que je sois convaincue. [...] Il faut d’abord des paroles, des paroles qui ont un sens et un but précis. », confiait-elle.

Le renouveau de la musique selon Oum Kalthoum

Oum Kalthoum a une carrière musicale exceptionnellement longue de plus de 50 ans. Elle popularise la musique savante orientale, la modernise et invente le modèle de la chanson longue, sans cesse réinventée, qui n’est jamais deux fois la même. La structure de ces chansons s’inspire en partie de la waslah classique arabe (suite de chants savants) mais également des opéras ou poèmes symphoniques occidentaux. Entre 1936 et 1947, elle tourne dans 6 films, ce qui lui permet d’asseoir sa consécration dans le monde arabe ; des problèmes aux yeux lui font fuir les projecteurs du cinéma qu’elle ne supporte pas. Elle chante tous les amours : amour de Dieu d’abord, lorsqu’enfant elle accompagne son père imam pour psalmodier le Coran dans les fêtes de village, déguisée en garçon. L’amour d’un être cher également comme dans « Inta omri » (« Tu es ma vie »), composé par son ancien rival Abdel Wahab et qui a scellé le style commun des deux artistes. L’amour de la Patrie enfin. Elle sait s’entourer des meilleurs musiciens et auteurs (Ahmad Rami, Ahmad Shaq Kamel et Bayram al-Tunssi principalement). Outre son timbre, elle possède des qualités d’improvisation exceptionnelles. Elle invente une nouvelle rhétorique amoureuse, avec le vocatif habibi, aux inflexions toujours réinventées. En France on la compare souvent à La Callas ainsi qu’à Edith Piaf.

Une artiste engagée : la cause nationaliste, palestinienne, panarabe et féministe

Très tôt, Oum Kalthoum prend fait et cause pour la palestine. En 1967, après la Guerre des Six jours, Kalthoum est anéantie : « après la défaite je ne pouvais pas me remettre. » Elle participe à « l’effort de guerre » en reversant l’intégralité de ses cachets à l’Etat égyptien. Elle entreprend une grande tournée, avec une seule date en Europe, à Paris, dans la salle de l’Olympia. Bruno Coquatrix, qui reconnait n’avoir jamais entendu parler d’elle, accepte pourtant de lui verser un cachet record. Il est abasourdi quand elle lui annonce vouloir chanter une ou deux chansons, ignorant qu’une seule d’entre elles pouvait durer plus d’une heure et en négocie au moins 3 : le concert ne s’est terminé qu’à 3h00 du matin, devant une salle comble et enthousiaste. A Paris, elle interprète les deux soirs « Les Ruines » : chanson d’amour à l’origine, elle prend une valeur allégorique politique. « Donne-moi ma liberté, dénoue mes mains. J’ai tout donné mais rien gagné pour moi, mes poings saignent à cause des menottes que tu m’as fait porter ». Nasser a d’ailleurs annoncé la défaite militaire égyptienne en reprenant les paroles de la chanson d’Oum Kalthoum. C’est en 1948 qu’elle rencontre Nasser, alors président d’Egypte et l’admiration est réciproque. Au renversement de la monarchie égyptienne en 1952, ses chansons sont interdites d’antenne. Quand Nasser l’apprend il s’exclame : «Avez-vous détruit les pyramides et le Nil ? Repassez-la immédiatement». Leur amitié devient dès lors indéfectible. Elle chante l’amour de la Patrie, les hymnes de la nation arabe, sur un ton quelque peu martial, accompagnée le plus souvent par des chœurs d’hommes : « Nashid el Gala’ » (« L’hymne de la Liberté »), « Wallah Zaman ya Silahi » (« Il y a bien longtemps, mon arme ») – qui fut l’hymne officiel de la République Arabe Unie, éphémère union entre la Syrie et l’Égypte entre 1958 et 1961, puis l’hymne national égyptien jusqu’en 1977. Dans « Asbah ’Andi Bunduqyia » (« Et maintenant j’ai un fusil »), adaptation d’un célèbre poème de Nizar Qabbani, elle rappelle que la cause palestinienne relève de la responsabilité égyptienne et arabe en général. La chanteuse cristallise, à partir des années 1950, la fierté retrouvée du peuple égyptien, et même arabe. La reprise de ses morceaux pendant le « printemps arabe » de 2011 témoigne d’une ferveur populaire encore brûlante. C’est également une femme subversive, qui dirige des hommes, exprime ses sentiments et célèbre la femme libre. Elle exhorte les femmes durant ses concerts : « Vous êtes la moitié de l’humanité, prenez votre destin en main ! »

 

Asmahan

 

Une prodige de la chanson

Chanteuse et actrice syrienne morte à 26 ans, sa vie semble sortie d’un roman : elle naît en mer en 1915 sur un bateau nommé « le Nil » en pleine tempête, alors que son père, prince et dirigeant druze, et sa mère fuient l’Anatolie. Il la surnomme Amal (l’espoir) car le bateau a failli couler. Après la mort du père en 1924, la famille part s’installer en Egypte. Sa mère, musicienne, professeure de chant et de luth oriental donne le goût de la musique au cadet des fils, Farid, et à Amal.
Prodige comme son frère Farid, elle est surnommée « Asmahan » (« La Sublime ») par le compositeur Daoud Hosni.
Oum Kalthoum et Asmahan deviennent vite rivales, Asmahan enjôlant les foules par sa beauté et l’étendue de sa voix. Asmahan et son frère Farid al-Atrache deviennent tous les deux de grandes stars de la chanson arabe.

Mariage forcé en Syrie

Fouad, son frère aîné rigoriste, stoppe sa carrière qu’il juge indécente en la mariant à son cousin, prince en Syrie. Asmahan y reste quelques années et y mène la vie d’une mère au foyer, avant de demander le divorce que son mari a refusé dans un premier temps. Il cède face à une tentative de suicide d’Asmahan mais garde avec lui leur fille Camélia.

Une femme libre

Asmahan rentre au Caire pour reprendre sa carrière. Elle mène une vie de femme libre, sort beaucoup, boit, fume et a de multiples amants. Approchée par Hollywood, elle devient une icône du cinéma et est surnommée la « Marylin du Moyen-Orient ». Ayant perdu sa nationalité égyptienne par son mariage, et s’étant mise à dos la reine mère Nazli en lui volant son amant, elle est menacée d’expulsion et finit par devoir se réfugier en Palestine et au Liban respectivement protectorat britannique et français.

La Mata-Hari orientale

Pour parfaire sa destinée romanesque, Asmahan se fait espionne pour les Britanniques pendant la Seconde Guerre mondiale : elle est chargée de convaincre son ex-mari et le camp des Druzes de ne pas intervenir contre les Forces alliées pendant l’expédition « Exporter » en Syrie.

Une mort mystérieuse

Asmahan accompagnée de son amie Marie Baynes, part en balade avec un chauffeur remplaçant et n’y prend pas garde. Elles sont mortes toute les deux dans un accident de voiture et ont fini noyées dans le Nil, alors que le « chauffeur » inconnu a sauté avant la chute et s’est empressé de disparaitre. Toutes les spéculations et les rumeurs les plus folles ont couru sur le commanditaire de cet accident. D’après la légende, une voyante avait prédit à Asmahan : « Tu as commencé ta vie dans les flots et tu périras dans les flots. » Elle meurt en pleine gloire à l’âge de 26 ans. 

 

 

Autres noms à découvrir dans le document plus haut : Fayrouz et le Liban, Warda (Algérie, Liban, Egypte), Dalila (Egypte et Orient), Laila Mourad et l'Egypte, Sabah et le Liban,