FEMMES INTERPRETESAujourd'hui
I. Cheffe d'orchestreQuelques notes prises à la lecture de l'article de Hyacinthe Ravet : Professionnalisation féminine et féminisation d'une profession : les artistes interprètes de musique Seconde moitié du xxe siècle, scolarisation massive des filles : l’accès des femmes aux professions supérieures. Pour autant, la mixité conquise dans ces professions n’est pas synonyme d’égalité complète. De longue date, les femmes ont été exclues du domaine instrumental dans la sphère publique, exclusion qui a des racines historiques et symboliques profondes et trouve ses sources notamment, pour l’Occident chrétien, dans les rapports mouvementés entre femmes, Église et musique (Franco-Lao, 1978). Resserrée au xixe siècle par un “étau juridique” de lois confinant les femmes mariées dans un statut de “mineures”, l’exclusion des femmes marque l’ensemble de la société française (Schweitzer, 2002) et renforce la répartition entre sphère privée et sphère publique et le partage des tâches entre hommes et femmes, notamment pour la pratique musicale : “gardienne du foyer”, la femme peut exercer ses talents de musicienne dans des concerts privés et agrémenter l’univers domestique de sa pratique du piano (Escal, Rousseau-Dujardin, 1999). Quelques-unes exercent une pratique exceptionnelle de virtuose. Mais, institutionnellement, l’accès aux formations orchestrales n’est pas permis. Au début du xxe siècle, les musiciennes sont quasi absentes des orchestres professionnels français : seules quelques harpistes et quelques violonistes y trouvent parfois un emploi mais pas toujours en tant que titulaires. Un siècle plus tard, les femmes représentent 31,9% des effectifs des musiciens des orchestres permanents français (afo, 2001), soit proportionnellement un peu moins que leur part dans la population active en général (45,8% à la même époque)). D’une présence marginale à une place effective, en un siècle les femmes ont accédé aux orchestres professionnels et au statut d’artiste interprète. Numériquement, la féminisation de la profession se réalise au cours de la seconde moitié du xxe siècle, concomitamment à l’ouverture progressive de l’univers de la création artistique (Bard, 2001). Le premier tournant s’amorce à la charnière du xviiie et du xixe siècle : un mouvement de professionnalisation des musiciens interprètes s’engage lorsque est créé l’Institut National de Musique – qui deviendra le Conservatoire de Paris – pour former les musiciens de la Garde Nationale. Les “ancêtres” des orchestres permanents s’institutionnalisent progressivement. La présence des musiciennes n’est pas autorisée dans toutes les classes du Conservatoire et demeure assez marginale, sauf dans les classes de chant, pour les besoins de l’opéra, et de piano. Elles sont également très peu nombreuses à devenir professionnelles, en dehors des professeurs de piano pour les jeunes filles de la bourgeoisie et des chanteuses. Le deuxième tournant se situe fin du xixe - début du xxe siècle : les femmes se voient sciemment refoulées des orchestres professionnels alors qu’elles commencent à accéder de plus en plus à certaines classes d’instrument, telles les classes de violon et de harpe (essentiellement des instruments à cordes), et qu’elles en sortent diplômées au niveau supérieur. Les musiciennes qualifiées se trouvent ainsi en situation de non-emploi ou de sous-emploi : à part les leçons particulières et quelques places dans les Écoles de musique, seuls les orchestres de brasserie et des orchestres féminins (uniquement composés de femmes) ouvrent leurs portes à ces instrumentistes professionnelles. L’accès à la scolarisation musicale dans les écoles de musique, de plus en plus dense durant la seconde moitié du xxe siècle, a permis aux femmes de se former puis de se placer sur le marché de l’emploi musical. En particulier, leur présence plus avérée au sein des établissements supérieurs spécialisés, la croissance du nombre de diplômées parmi les instrumentistes qui peuvent envisager l’orchestre comme débouché professionnel et prétendre intégrer les ensembles professionnels. Dans la professionnalisation féminine, certains facteurs se révèlent particulièrement forts aux côtés d’effets de circonstance indéniables : positivement, l’investissement familial, ’étayage parental et enseignant, la confiance en soi. Eddy Shepens observe également des différences importantes selon les disciplines d’origine : les hommes connaissent une plus grande professionnalisation par rapport aux femmes pour les instruments d’orchestre (les instruments à cordes, à percussion et plus encore pour les instruments à vent, les quelques femmes cuivres diplômées accédant très difficilement aux places d’orchestre). A l’inverse, les femmes connaissent une plus grande professionnalisation par rapport aux hommes pour les instruments à clavier, tel le piano, où les débouchés vers l’orchestre sont minimes et qui conduisent donc essentiellement vers l’enseignement. Majoritaires lors de l’apprentissage, les femmes sont donc orientées très tôt dans des disciplines qui les excluent des débouchés professionnels les plus rémunérateurs et assurant généralement une plus grande notoriété : la scolarisation musicale ne diffère pas en cela de la scolarité générale des filles et des orientations scolaires différenciées, où – à niveau égal – les garçons s’orientent et sont davantage orientés vers les filières d’excellence (Duru-Bellat, Jarlégan, 2001). Une précédente étude du ministère de la Culture sur les élèves des écoles de musique notait que “malgré leur précocité plus grande, les filles voient leurs ambitions freinées, et canalisées vers le professorat, alors que les garçons veulent réussir comme instrumentistes, voire comme solistes, ou bien renoncent à tout projet professionnel. L’école “homogénéise” ainsi sa population féminine autour d’une ambition moyenne traditionnellement vouée aux femmes, et elle scinde au contraire en deux groupes très inégaux les garçons, placés au conservatoire exactement comme à l’école dans une compétition sévère pour la réussite sociale” (Hennion, 1982). Au sein des orchestres permanents français, la présence des femmes varie selon le degré de décision interprétative. Les instruments à vents, on l’a vu, ont tous la fonction de soliste : les femmes y sont encore peu nombreuses (15,6% chez les bois et 2% chez les cuivres, selon les données de l’afo). Mais, même parmi les cordes où les femmes sont largement plus représentées, les pupitres sont dirigés avant tout par des hommes. Le cas des chefs d’orchestre est paroxystique : il s’agit là de décider pour tout un orchestre de la création ou re-création de l’œuvre. Concrètement, physiquement, cela implique de s’imposer à l’ensemble des musiciens (face à des orchestres qui peuvent comporter jusqu’à cent cinquante personnes pour certaines œuvres en grande formation symphonique ou lyrique). Les femmes sont encore peu nombreuses à cette fonction. Elles soulignent les difficultés rencontrées pour se faire entendre de l’orchestre, qui pousse parfois loin et violemment la contestation de l’autorité féminine (ainsi la cheffe américaine, Julia Jones, démissionne de l’orchestre de Bâle parce qu’elle n’arrive pas à se faire respecter des musiciens, dans les premières années du xxie siècle). Cela oblige les femmes qui veulent réussir à diriger une formation orchestrale à trouver des stratégies d’approche, à négocier leur autorité avec l’orchestre, plus encore que les chefs hommes, et à composer sur le plan identitaire : par exemple, en neutralisant les marques de “féminité”, en se “masculinisant” ou en recherchant une image plus androgyne, ou encore en adoptant d’autres modes de gestion et de direction de l’orchestre que celui conféré par une autorité dirigiste (et en tirant parti de leur statut de femme). Les musiciens des orchestres professionnels français rencontrés, tous instrumentistes confondus, montrent de fortes différences quant au vécu du métier et à l’appréciation de la vie d’orchestre entre les hommes et les femmes. Les musiciennes sont ainsi proportionnellement plus nombreuses à évaluer positivement leur activité professionnelle, notamment sa dimension collective. A l’inverse, les hommes sont les seuls à parler de “déclin du métier de musicien d’orchestre” et sont plus nombreux à déprécier leur activité.
II. SolisteEcoutons en aveugle trois extraits par trois pianistes femmes, puis écoutons à nouveau, mais en vidéo, cette fois. Deuxième mouvement du deuxième concerto de Segueï Rachmaninov Hélène Grimaud
Yuja Wang
Elizabeth Sombart
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