Aucun compositeur n’aura autant été
prétexte à transcriptions que J-S. Bach. Mozart
lui-même, Schumann, Mendelssohn, Liszt, Brahms, Saint-Saëns,
Rachmaninov, Mahler, Reger, Busoni, Schoenberg, Webern, Stravinsky et d’autres
bien plus proches de notre époque ont usé de ce procédé
d’après les œuvres du maître.
Faut-il rappeler que Bach a lui-même été un fervent
transcripteur de ses contemporains ? Très attiré par le style
italien, il a transcrit pour orgue plusieurs
concertos de Vivaldi et de Corelli. De plus, Bach se transcrivait parfois lui-même dans le sens
où des thèmes composés pour un instrument réapparaissaient
dans d’autres des ses œuvres ultérieures.
Mais pourquoi réécrire ce qui existe déjà ?
Il y a bien sur diverses raisons. Si l’on transcrit, c’est souvent
pour changer l’instrumentation : le pianiste pourra ainsi s’approprier
une pièce pour violon ou faire revivre les moments forts d’un
opéra au sein d’un espace réduit. L’organiste
fera ressortir la polyphonie d’un chœur à travers son
instrument. Le clarinettiste trouvera autant de plaisir que le flûtiste
à jouer une œuvre de Bach qui n’a jamais écrit
pour la clarinette puisque celle-ci n’existait pas ! Le musicien de
Jazz quant à lui s’appropriera un standard pour le noyer dans
un style hors du commun.
Ecoutez Bobby McFerrin qui chante la partie
de violon du premier mouvement du concerto pour violon et orchestre en la
mineur BWV1041, accompagné par le Saint Paul Chamber Orhcestra sous
la direction du soliste.
L’une des raisons la plus importante est la
didactique. Mozart, par exemple, consacra un temps non négligeable
à recopier les partitions de Jean-Sébastien Bach conservées
à la bibliothèque de l’école Saint-Thomas de
Leipzig, pour sa propre érudition,
et il fut un des premiers à transcrire pour cordes certaines des
fugues du Kantor afin de s’imprégner de son style rigoureux.
Tout artiste commence par copier avant de créer. Les recueils et
les traités d’apprentissage n’étant pas aussi
courants qu’aujourd’hui, la meilleure façon de se familiariser
avec un style, un genre ou une pratique était la copie et la transcription.
Le musicien pédagogue est ainsi souvent appelé à réaliser
des transcriptions pour ses élèves.
De plus, les grandes maisons d’édition,
notamment au 19e siècle, firent leur fortune sur la vente de réductions
pour piano des chefs-d’œuvre orchestraux et lyriques des maîtres
classiques et romantiques, sans parler des multiples transcriptions
pour des nomenclatures extrêmement variées qui ont permis à
des générations de mélomanes de découvrir le
fabuleux trésor de notre répertoire musical en un temps où
radio, disque et autres procédés de reproduction sonore n’existaient
pas.
Ecoutez le 3° mouvement du Concerto Brandebourgeois
n° 3 par le Los Angeles Guitar Quartet.
Ecoutez le début d’Immortal
Bach, un arrangement de 1915 du choral « Komm, süsser Tod »
BWV 478, par Knut Nystedt et interprété par le chœur
de chambre accentus, sous la direction de Laurence Equilbey.
Mais quels sont les compositeurs qui ont transcrits Jean-Sébastien
Bach ?
Les transcriptions constituent un catalogue considérable, extrêmement
varié et en constant accroissement : des versions pour deux pianos
des Concertos Brandebourgeois de Max Reger aux transcriptions pour marimba des Suites Françaises et Anglaises,
en passant par les orchestrations de Stokowski, les diverses combinaisons
proposées pour les fabuleuses Sonates et Partitas pour violon solo,
(piano et violon de Schumann, piano de Busoni,
guitare de Göran Söllscher, deux violons de Willem Kes), les interprétations
jazzy de Jacques Loussier et autre Swingle Singers, on n’arrête
pas de redécouvrir la musique de Bach sous de nouvelles formes qui,
toutes, nous ramènent fidèlement à l’original
avec tout le bénéfice d’une audition variée au
sens musical du terme.
Ecoutez Max Reger qui a transcrit un grand
nombre d’œuvres de Jean-Sébastien, notamment le dernier
mouvement du sixième concerto Brandebourgeois, en si bémol
majeur, pour piano quatre-mains. Sontraud Speidel et Eveline Trenkner sont
au piano.
La grande popularité de certaines pièces d’orgue de
J-S Bach amènera Franz Liszt à tenter la réduction pour piano de sept de celles-ci. L’ambition
est de permettre au pianiste ne disposant pas de pédalier de faire
vivre à travers ses doigts les quelques grands préludes et
fugues ainsi transcrits. Le piano en fait parfaitement ressortir l‘écriture
polyphonique, la main gauche utilisant fréquemment les octaves afin
de suggérer la profondeur d’un jeu de 16’ du pédalier
d’orgue. La réverbération de la cathédrale est
compensée par un usage abondant de la pédale, libérant
les étouffoirs et laissant résonner les cordes.
Ecoutez le Prélude BWV 543 pour orgue,
transcrit par Franz Liszt et interprété par Fazil Say.
Mais la référence dans le domaine
des transcriptions est sans conteste Ferrucio Busoni. Né
d’une mère allemande et d’un père italien, tout
deux musiciens, Ferruccio Busoni, 1866 – 1924 est vite acclamé
comme un enfant prodige du piano. En 1886, Busoni se rend à Leipzig
où il étudie la musique de Bach et commence son monumental
travail de transcription pour piano des œuvres de Bach.
Véritable visionnaire en ce début de XX° siècle,
il déclarera que
« la musique est née libre et qu’elle doit constamment
s’affranchir des limites imposées par les instruments dont
on dispose.»
On trouve parmi les transcriptions, des œuvres cultes comme la Chaconne
extraite de la deuxième Partita pour violon BWV 1006. Un exercice
particulièrement intéressant dans le domaine des transcriptions
est la comparaison. Or, il se trouve que la Chaconne en question a interpellé
plusieurs compositeurs ou transcripteurs.
Citons Schumann, Mendelssohn, Brahms, Joseph-Joachim Raff, Busoni, Léopold
Stokowski en 1950, Andrés Segovia pour la guitare, Friedrich Lips
pour l’accordéon, Anne Dudley, compositeur de musique de film,
ou encore, le luthiste José Miguel Moreno. $ChaconneAGB
Ecoutez le montage suivant avec Jean-Marc
Fabiano à l’accordéon, Andrés Segovia à
la guitare dans sa propre transcription et Fazil Say au piano, dans la transcription
de Busoni, tous trois interprétant la fameuse Chaconne en question.
Au XXè siècle, les transcripteurs sont nombreux. Et pour cause,
les styles musicaux y sont extrêmement variés : Klangfarbenmelodie,
dodécaphonisme, jazz ou variété.
Webern, dans son orchestration
du Ricercare à 6 de l’offrande musicale propose une version
intimiste : chacune des six parties n’est
plus assignée à un seul instrument immuable mais passe en
relais d’un instrument à l’autre, selon le principe de
la Klangfarbenmelodie produisant la dispersion des sources sonores.
Ecoutez le début de la Ricerca extraite
de L’offrande Musicale, BWV 1079, arrangée par Anton Webern.
Esa-Pekka SALONEN dirige le Los Angeles Philharmonic.
De nombreux musiciens ont transcrit Bach en Jazz.
La construction rythmique de nombreuses œuvres de JS BACH permet d'accentuer
les temps "faibles" sans trahir l'œuvre du compositeur. Et
le ré-agencement de l'architecture avec des rythmes balancés
( croches pointées-doubles ) ou syncopés ( croches accentuées
), engendre le swing et la pulsation du Jazz.
Existe-t-il une technique particulière pour la transcription ?
En fait, on pourra distinguer plusieurs sortes de transcriptions : les réductions,
les extensions, les adaptations, les arrangements, ou également les
paraphrases.
Les réductions sont l’adaptation
de pièces orchestrales pour le piano, voire un petit groupe de musiciens. Par exemple, les Concertos Brandebourgeois, pour orchestre baroque au départ,
ont été réduits pour le piano quatre mains par Reger
Les extensions, c’est-à-dire
l’orchestration ou l’ajout de voix supplémentaires en
partant de pièces instrumentales ou vocales. Rachmaninov
propose une transcription-extension pour piano de la troisième Partita
BWV 1006 pour violon seul, en y apportant sa propre marque stylistique,
des chromatismes et des contrepoints étrangers à Bach.
Les adaptations sont en général
motivées par des contraintes pratiques. L’interprète
peut transposer une œuvre pour des raisons de tessiture vocale ou adapter
une construction formelle afin de respecter une durée précise
selon les circonstances d’exécution. Jacques Loussier a transcrit et arrangé bon nombre
d’œuvres de Bach, comme ici le célèbre Aria de
la Suite en ré.
Les paraphrases, quant à elles, sont
l’assemblage de plusieurs thèmes d’une œuvre donnée
comme un opéra.