LE DADAÏSME EN MUSIQUE

En partie inspiré de l'émission de François-Xavier Szymczak, du 8 février 2016 sur France Musique

 

Le 5 février 1916 marque la naissance du mouvement dada. Des poètes Hugo Ball, Richard Huelsenbeck, Tristan Tzara, des peintres Jean Arp, Marcel Janco, Sophie Taeuber et d'une page de dictionnaire prise au hasard. Ils investissent une taverne de la Spiegelstrasse, à Zürich, la transforment en café littéraire et artistique et la rebaptisent "Cabaret Voltaire". Pour gagner la confiance du propriétaire des lieux, Hugo Ball prétend vouloir perpétuer la tradition berlinoise et parisienne des cabarets d'avant-guerre, mais, en réalité, il affiche d'autres ambitions plus radicales : esprit de négation et de dérision, destruction volontaire du langage, création d'une autre langue non corrompue par les conventions, invention de la poésie sonore et onomatopéique à la fois scandée, si possible par des instruments de percussion, et criée dans des accoutrements inédits tel ce costume en carton rigide et argenté figurant un phallus "Le Point écrit le 5 février 2012 : Lors de la première soirée dadaïste, Hugo Ball se déguise en phallus." (Wikipedia)

 

Ces jeunes artistes échappent au service militaire et fuient la guerre.

Le 16 février 1916 débute la tristement célébre bataille de Verdun (700 000 morts en 10 mois)

Pour les Dadaïstes, le monde ne devait plus jamais être le même.

Bernard Lavilliers a mis en chanson un texte de Tristan Tzara, en 1967, trois après la mort de Tzara :

I

la chanson d’un dadaïste
qui avait dada au cœur
fatiguait trop son moteur
qui avait dada au cœur

l’ascenseur portait un roi
lourd fragile autonome
il coupa son grand bras droit
l’envoya au pape à rome

c’est pourquoi
l’ascenceur
n’avait plus dada au cœur

Buvez du chocolat
lavez votre cerveau
dada
dada
dada
buvez de l’eau

II

la chanson d’un dadaïste
qui n’était ni gai ni triste
et aimait une bicycliste
qui n’était ni gaie ni triste

mais l’époux le jour de l’an
savait tout et dans une crise
envoya au vatican
leurs deux corps en trois valises

ni amant
ni cycliste
n’étaient plus ni gais ni tristes

mangez de bons cerveaux
lavez votre soldat
dada
dada
dada
buvez de l’eau

III

la chanson d’un dadaïste
qui était dada de cœur
qui était donc dadaïste
comme tous les dadas de cœur

un serpent portait des gants
il ferma vite la soupape
mit des gants en peau d’serpent
et vint embrasser le pape

c’est curieux
ventre en fleur
n’avait plus dada au cœur

buvez du lait d’oiseaux
lavez vos chocolats
dada
dada
dada
mangez du veau

Téléchargez les paroles

 

Ecoutons Tristan Tzara au début des années 1960

 

 On retrouve le rejet des contraintes et des conventions chez Picabia. Victime d'un zona à l'oeil, il décide justement de peindre cet oeil :

L'oeil Cacodylate
1921
(Centre Pompidou à Paris)

Cette oeuvre est signée par 56 connaissances (Jean Cocteau, Marcel Duchamp, Isadora Duncan, George Auric qui écrit "je n'ai rien à vous dire", Francis Poulenc "j'aime la salade", Darius Milhaud "je suis dada depuis 1892")...

Darius Milhaud,
Coktail aux Clarinettes

Le texte :

Remplissez aux trois quarts de glace pilée. Ajoutez: deux cuillers à café le sirop le sucre une cuiller à café de jus de citron, quatre gouttes d’angostura, une cuiller à café d’absynthe un petit verre à bordeaux de gin. Humectez le bord du verre avec une trempez de citron et truquez-le légèrement de sucre en poudre. Agitez bien votre boisson et versez dans le verre que vous avez préparé. Rapez un peu de muscade dessus. Ajoutez trois petites cerises et servez avec grande pailles.  

 

Darius Milhaud,
Caramel mou
(illustration de la danse appellée Shimmy)

Texte de Jean Cocteau

Prenez une jeune fille,
Remplisse-la de glace et de gin
Secouez le tout pour en faire une androgyne
Et rendez la à sa famille.

Allo, allo Mademoiselle, ne coupez pas
demoiselle ne coupez pas moiselle
ne coupez pas zelle, ne coupez pas ne coupez pas
coupez pas pez pas pas Ah!
Oh, oh comme c'est triste d'être le roi des animaux
Personne ne dit mot oh, oh
L'amour est le pire des maux

Prenez une jeune fille
Remplissez la de glace et de gin
Mettez lui sur la bouche un petit peu d'Angustura
Secouez le tout pour en faire une androgyne
Et rendez la à sa famille

J'ai connu un homme très malheureux en amour
Qui jouait les nocturnes de Chopin sur le tambour
Allo, allo mademoiselle ne coupez pas
Je parle à je parle au allo, allo
Personne ne dit mot

Prenez une jeune fille
Remplissez la de glace et de gin
Ne trouvez vous pas que l'art est un peu........
Secouez le tout pour en faire une androgyne
Et rendez la et rendez la et rendez la à sa famille
On dit à l'enfant ''Lave toi les mains!''
On lui dit pas ''Lave toi les dents!''
Caramel mou!

 

Ecoutons une langue imaginaire et dadaïste écrite par Hugo Ball : Karawane :

 

Francis Poulence compose au printemps 1917 la Rapsodie Nègre. Il a 18 ans. Il prétend avoir retrouvé un recueil de poèmes d'un auteur du Libéria, Makoko Kangourou, une supercherie qui allait en ravir certains et en fâhcer d'autres. Maurice Ravel dit : " ce qu'il y a de bien, avec Poulenc, c'est qu'il invente son propre folklore". En revanche, l'oeuvre n'est pas du goût de Paul Vidal, compositeur et professeur de composition au conservatoire de Paris.

En effet, désireux de s’améliorer, Poulenc présente sa Rapsodie nègre à Paul Vidal qui enseigne la composition au Conservatoire de Paris. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’il est très mal accueilli ! Dans une lettre adressée à Ricardo Viñes, il rapporte la réaction de Vidal : « Il la lit attentivement, plisse le front, roule des yeux furibards en voyant la dédicace à Erik Satie, se lève et me hurle exactement ceci : "Votre œuvre est infecte, inapte, c’est une « couillonnerie » infâme. Vous vous foutez de moi, des quintes partout ; et cela est-ce cul cet Honoloulou ? Ah, je vois que vous marchez avec la bande de Stravinsky, Satie et cie, eh bien, bonsoir !" et il m’a presque mis à la porte ; me voilà donc sur le carreau, ne sachant que faire, qui aller consulter [...]. »

 

Francis Picabia compose en 1920 la Nourrice Américaine :  

"Dada" ne veut rien dire, ne veut pas imposer de répertoire ni de critère à ses artistes. Pourtant, l'une des caractéristiques reste la répétition. Voire l'aspect hypnotique.

Avant Dada, Erik Satie semble déjà en route vers ce nouvel univers.

Quelques mots sur Satie

Erik Satie, compositeur et pianiste français, 1866-1925. Associé un temps au symbolisme, mais inclassable, il a été reconnu comme précurseur de plusieurs mouvements, dont le surréalisme, le minimalisme, la musique répétitive et le théâtre de l'absurde. Quelques exemples.

Première Ogive (1886)

 

Vexations (1893)

« Pour se jouer 840 fois de suite ce motif, il sera bon de se préparer au préalable, et dans le plus grand silence, par des immobilités sérieuses »

 

Bien que composée en 1893, l’œuvre ne fut ni imprimée ni jouée du vivant d'Erik Satie. Le compositeur américain John Cage fut le premier à prendre l'initiative d'une interprétation intégrale de l'œuvre, dix pianistes (dont le jeune John Cage) se relayant pour la jouer pendant plus de 18 heures, en 1963, à New York.
Le New York Times présenta ainsi le concert : « Une longue, longue, longue nuit (et journée) au piano [...] Quoi qu'il en fût, cela a fait l'histoire musicale ».

Cage fut plus prolixe et décrivit son expérience ainsi :

« Ce qui advint, c'est que nous étions très fatigués, naturellement, après une telle longueur de musique, et je conduisis jusque chez moi. Je dormis exceptionnellement longtemps, et lorsque je me levai, je me sentis différent de tout ce que j'avais ressenti auparavant. Et de plus mon environnement me semblait étranger, bien que ce soit le lieu où je vis. En d'autres termes, j'avais changé, et le Monde avait changé. »

 

Satie adhère au mouvement dadaïste dès son arrivée à Paris, en 1918. Son oeuvre la plus représentative, écrite en 1924, est le ballet Relâche.

Le ballet commence par un prélude, la projection d'un film bref.

Ensuite, le rideau se lève, et les spectateurs se retrouvent aveuglés : ils sont face aux feux de 370 réflecteurs dirigés vers la salle, puis les interprètes arrivent pour un spectacle qui est en partie improvisé. Pendant ce temps, l'orchestre joue par intermittence un prélude de Satie, issu de la chanson populaire Le marchand de navets.

Le premier acte est une série d'événements simultanés.

À l'entracte, est projeté le film de Picabia et René Clair intitulé Entr'acte.

Le deuxième acte présente des danses grotesques, et des panneaux montrant des slogans. Un rideau noir se lève avec écrit « Aimez vous mieux les ballets à l'Opéra, pauvres malheureux », « Vive Relâche », et « Erik Satie est le plus grand musicien du monde » (…), c'est la seule touche de couleur de Relâche.
Des hommes et une femme entrent en scène, les hommes se déshabillent, enlèvent leur costume et se retrouve en pyjama, la femme empile leurs costumes sur une brouette et danse avec cette dernière. À la fin de cette danse, Satie et Picabia entrent en scène et vont saluer le public... en conduisant la voiture de Rolf de Maré !

Dans ce ballet, tout est mis en place pour faire huer le public, ce qui semblait ravir Francis Picabia : « J'aime mieux les entendre crier qu'applaudir ».

Parmi les nombreux interprètes, on note la présence de Marcel Duchamp jouant nu dans le rôle d'Adam, Ève n'est autre que Brogna Perlmutter, l'épouse de René Clair.

 

 

Erwin Schulhoff, compositeur austro-hongrois (1894-1942), apporte une touche de jazz au mouvement.

Partita WV63 pour piano :

1. Tempo di Fox

2. Tango-Rag

 

Quelques mots sur le Groupe des Six

 

Le terme « groupe des Six », aussi nommé Les Six, fut inventé par le compositeur et critique Henri Collet. Il réunissait, entre 1916 et 1923 : des compositeurs :

  • Georges Auric (1899-1983),
  • Louis Durey (1888-1979),
  • Arthur Honegger (1892-1955),
  • Darius Milhaud (1892-1974),
  • Francis Poulenc (1899-1963),
  • Germaine Tailleferre (1892-1983

auxquels s'associaient des poètes d'avant-garde : Blaise Cendras et Jean Cocteau, le porte-parole du groupe.
Les compositions du groupe des Six reflètent une esthétique commune et un nouvel état d'esprit :  l'« Esprit Nouveau » qui soufflera sur les années 20 en France (et en Allemagne également avec Paul Hindemith). La seule œuvre collective des Six (sans Durey) est leur collaboration aux Mariés de la Tour Eiffel de Cocteau, une oeuvre à découvrir et à connaître :

 

 

Les Mariés de la Tour Eiffel est un ballet collectif de Georges Auric, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc et Germaine Tailleferre (cinq des membres du groupe des Six), sur un livret de Jean Cocteau, avec une chorégraphie de Jean Börlin, des décors d'Irène Lagut et des costumes de Jean Hugo. Le spectacle fait appel à deux narrateurs. Le ballet a été représenté pour la première fois à Paris, au Théâtre des Champs-Élysées, en 1921.

Le scénario du ballet frise le non-sens : un couple de jeunes mariés prend son petit déjeuner sur l’une des plateformes de la Tour Eiffel. Un invité fait un discours pompeux. Alors qu’un photographe invite l’assemblée à « regarder le petit oiseau sortir », un bureau de télégraphe apparaît subitement sur la plateforme. Un lion entre et dévore un des invités pour son petit déjeuner alors qu’un étrange personnage dénommé « un enfant du futur » surgit et tue tout le monde. Le ballet se termine par la fin du mariage.

Auteur d'une farce grinçante autour des stéréotypes de l'époque (la famille, la bourgeoisie, l'armée et même la très admirée tour Eiffel), Cocteau, interrogé sur le sujet du ballet, répondit : « Vacuité d’un dimanche ; bestialité humaine, expressions toutes faites, dissociation des idées de la chair et des os, férocité de l’enfance, la poésie miraculeuse de la vie quotidienne ».

Francis Poulenc, dans une lettre du 29 juillet 1923, dit de l’œuvre : « toujours de la merde... hormis l'ouverture d'Auric ».

Le ballet est composé de 10 scènes :

Ouverture (14 juillet) - Georges Auric
Marche nuptiale - Darius Milhaud
Discours du général (polka) – Francis Poulenc
La Baigneuse de Trouville – Francis Poulenc
La Fugue du massacre – Darius Milhaud
La Valse des dépêches – Germaine Tailleferre
Marche funèbre – Arthur Honegger (dans laquelle il s’inspire de la valse de l’opéra Faust de Gounod)
Quadrille – Germaine Tailleferre
Ritournelles – Georges Auric
Sortie de la noce – Darius Milhaud

 


Le Groupe des Six était avant tout un groupe de jeunes camarades, réunis par :

    • leur ancrage dans la vie artistique et intellectuelle parisienne (Les « samedistes » se retrouvaient dans des appartements, restaurants, au cirque Medrano, au Music-hall...)
    • leur ton impertinent : Machines agricoles opus 56, 1919, de Darius Milhaud pour voix soliste et orchestre de chambre :
    • et leur ouverture très moderne à de nouveaux arts (music-hall, cirque et bientôt le cinéma) et aux nouveaux genres musicaux (jazz, musique latino-américaine).

    Voici le texte des Machines Agricoles de Milhaud. Il s'agit du texte du catalogue de présentation !

    « La moissonneuse Espigadora est employée dans les pays où la paille n’a pas grande valeur ; c’est une machine qui, grâce à une grande coupe, permet de faire de 12 à 15 hectares par jour. Elle peut être montée soit avec un élévateur qui, au moyen d’une toile, transporte et déverse les épis coupés sur un chariot-camion, dont la marche est réglée sur celle de la machine et parallèlement à elle-même, soit avec un appareil lieur formant la gerbe comme dans les moissonneuses ordinaires. Les deux accessoires, élévateur et appareil lieur, sont généralement achetés par les cultivateurs avec chaque Espigadora. »

    Essayez de suivre le texte avec la musique : quelle poésie !!!

    Comment trouvez-vous l'accompagnement instrumental ?

    Exposition DADA au centre Pompidou

    PROJET MUSICAL

    Sur le modèle des Machines Agricoles de Darius Milhaud, pourrait-on imaginer d'autres paroles sur ce chant très connu ? Une recette de cuisine, par exemple ?

     

    Je m'baladais sur l'avenue le cœur ouvert à l'inconnu
    J'avais envie de dire bonjour à n'importe qui
    N'importe qui et ce fut toi, je t'ai dit n'importe quoi
    Il suffisait de te parler, pour t'apprivoiser

    Aux Champs-Elysées, aux Champs-Elysées
    Au soleil, sous la pluie, à midi ou à minuit
    Il y a tout ce que vous voulez aux Champs-Elysées


    Tu m'as dit "J'ai rendez-vous dans un sous-sol avec des fous
    Qui vivent la guitare à la main, du soir au matin"
    Alors je t'ai accompagnée, on a chanté, on a dansé
    Et l'on n'a même pas pensé à s'embrasser

    Aux Champs-Elysées, aux Champs-Elysées
    Au soleil, sous la pluie, à midi ou à minuit
    Il y a tout ce que vous voulez aux Champs-Elysées


    Hier soir, deux inconnus et ce matin sur l'avenue
    Deux amoureux tout étourdis par la longue nuit
    Et de l'Étoile à la Concorde, un orchestre à mille cordes
    Tous les oiseaux du point du jour chantent l'amour

    Aux Champs-Elysées, aux Champs-Elysées
    Au soleil, sous la pluie, à midi ou à minuit
    Il y a tout ce que vous voulez aux Champs-Elysées

    Aux Champs-Elysées, aux Champs-Elysées
    Au soleil, sous la pluie, à midi ou à minuit
    Il y a tout ce que vous voulez aux Champs-Elysées

    Aux Champs-Elysées, aux Champs-Elysées.....

    Téléchargez le texte

     

    D'où vient cette chanson ?